Naku press publie ci-dessous une note d’analyse , partagée lors du congrès de l’Union Calédonienne
(La Foa, vendredi 16 novembre 2012)
Les Congrès de l’Union Calédonienne doivent être l’occasion de lever le regard au dessus de la barrière de récif. En effet militants et responsables du parti restent souvent focalisés sur la politique interne en croyant à tort qu’a partir du moment où l’on a signé l’accord de Nouméa, l’action politique doit s’appréhender uniquement sur le seul déroulé de cet accord, nos yeux restant braqués que sur le jeu politique local avec ses acteurs : indépendantistes et non indépendantistes.
L’analyse politique que nous avons à mener au cours de ce Congrès doit ainsi intégrer, comme nous le faisions les années précédentes, les niveaux : national français, régional et international. Sinon il nous manquerait des éléments clés importants pour évaluer correctement la situation où notre pays et notre lutte se trouvent afin d’élaborer les stratégies et conduites à tenir non seulement pour l’application de l’accord mais surtout pour préparer la sortie vers l’indépendance du pays.
Le premier niveau à tenir compte est bien évidemment la politique menée par l’Etat Français à travers les gouvernements successifs qu’ils soient de droite ou de gauche. Et comme il s’agit depuis l’élection de François Hollande, d’un gouvernement socialiste, donc de gauche, qui gouverne l’Etat, il nous faut donc regarder de prés la politique socialiste pour l’outre mer français.
On constate que les différents congrès du parti socialiste insistent régulièrement sur les mêmes thèmes qui peuvent se résumer par le principe de : « la ligne rouge de l’indépendance interdite » car les outremers sont une chance pour la république et la République doit être une chance pour les outremers. Sont ainsi énoncés en résumé les mots d’ordre suivant : rendre aux outre- mer la place qu’ils méritent dans la République, valoriser l’étendue de son espace francophone, sa ZEE (zone économique exclusive) comprise comme une immense richesse pour la France et pour l’Europe, d’où la bataille entreprise à l’ONU pour la possession des ilots Matthew et Hunter, grâce à l’outre mer, la France rayonne dans le monde en tant que deuxième puissance maritime (90% de cette puissance lui sont données par l’outre mer et notamment les territoires du pacifique). Le ministre de l’outre mer Victorin Lurel dira que : les outre mers de par leur diversité, sont des exemples de sociétés multiculturels modernes, elles doivent être un laboratoire d’idées (genre cobaye) pour aider la France à accomplir sa mutation. Les outremers représentent une immense richesse pour la France et l’Europe. Le mouvement initié en NC depuis la signature de l’accord de Matignon devra servir de guide aux collectivités d’outre mer qui opteront pour une plus large autonomie (mais pas l’indépendance !). Les outremers constituent l’essentiel de la richesse de la France en matière de biodiversité etc ….
A y regarder de plus prés, il y a peu de différence entre les visions de droite ou de gauche de l’Etat Français pour l’outre mer. Et on ne peut guère se tromper en affirmant que l’Etat n’a aucun intérêt (intérêt supérieur de la Nation) à ce que son outre mer se sépare de l’ensemble français. En conséquence, sous couvert de démocratie, tout se mettra en œuvre pour éviter les tentatives d’indépendance, considéré, implicitement comme des formes de sécession, en contradiction avec les principes de l’ONU : droit des peuples à disposer d’eux mêmes et droit des peuples autochtones. En son temps, François Mitterrand avait dit à nos anciens : « l’indépendance jamais, au pire la partition ».
La politique d’immigration de nationaux français dans la droite ligne de la circulaire Messmer de 1972 qui perdure encore depuis plus de 50 ans, c’est à dire au moment de la première vague de décolonisation, ne s’explique que par le principe de la défense des intérêts supérieurs de la nation. Le système de la France Afrique si bien décrit et dénoncé par l’association Survie, le spectre de la partition de la kanaky brandi comme une menace, la main mise sur la ZEE (zone économique exclusive) et ses ressources, la possibilité pour l’Etat de reprendre la compétence sur la gestion des ressources naturelles, notamment en ce qui concerne les « terres rares » (métaux rares entrant dans la fabrication des ordinateurs, tablettes, Smartphones, lasers, panneaux photovoltaïques, radars, missile ..), toutes ces stratégies n’obéissent qu’à ce seul principe : tout faire pour que la Nouvelle Calédonie reste française et européenne afin de conforter la France dans son rôle de grande puissance (relent nostalgique de l’ancien empire colonial français) au détriment du droit du peuple kanak et calédonien à son indépendance.
La question que l’on peut se poser est de savoir si un gouvernement se réclamant de la gauche, donc de valeurs et d’idéaux de justice, d’égalité, de respect et défense du petit et du faible, agit autrement qu’un gouvernement de droite. Non seulement l’histoire récente a démontré le contraire, mais on peut constater que s’agissant de la politique outre mer il y a peu de différence entre droite et gauche. De plus, au vu de la dernière conférence de presse du président Hollande la semaine dernière (réforme de l’Etat, donc moins d’Etat, pacte de compétitivité, aide massive aux entreprises,) les marqueurs de la pensée socialiste tombent les uns après les autres, tous les observateurs notent un virage idéologique important et l’abandon progressif du socialisme pour un nouveau terme : « le social libéralisme ».
Par ailleurs il est nécessaire pour nos analyses de connaitre la situation géostratégique de notre région le Pacifique. La France y est présente par ses territoires et elle n’a pas l’intention de se retirer. Pour preuve ses manœuvres en tout genre pour renforcer sa présence et sa légitimité dont : le maintien des territoires dans une situation d’assistanat par l’immigration ciblée et choisie, la défiscalisation à outrance, les transferts financiers et l’indexation des salaires des fonctionnaires, tous ces éléments qui contribuent à créer une bulle artificielle où se développe une croissance factice avec de hauts revenus, une vie chère et de fortes inégalités sociales. Mais aussi par une présence et une coopération militaire tout azimut dans l’esprit des dernières manœuvres de ce mois de novembre 2012.
La France affirme ainsi sa présence face à deux immenses géants que sont les USA et la Chine. Avec l’’élection du président OBAMA en 2008 et sa réélection le 6 novembre dernier, le président américain a fait de l’Asie Pacifique la pièce maitresse, le pivot de sa diplomatie après une décennie de conflits en Irak et Afghanistan, il considère que cette région, la nôtre, est le nouveau moteur de la croissance mondiale. Sa première visite après sa réélection est la Birmanie en fin de ce mois et il revendique sans cesse sa part d’océanité (originaire d’Océanie) du fait qu’il est né à Hawaï et que cet état-archipel américain est situé dans l’océan pacifique.
Pour sa part la Chine qui vient de porter Xi JINPING à sa tête, en tant que secrétaire général du parti communiste chinois a clairement affirmé sa volonté d’afficher sa prépondérance politique, militaire, économique et sa souveraineté sur un ensemble d’île et d’îlots de la zone et dans la mer de Chine. Les pays de cette zone dépendent d’elle pour leur avenir économique et c’est elle qui a favorisé leur émergence économique. Les deux grandes puissances rivales s’affrontent économiquement et pour le moment pacifiquement, dans le Pacifique occidental, cette région où se trouve notre pays.
Comme l’affirmera un journaliste politique : « Tous ces pays ont peur aussi de la Chine, de ses velléités de prépondérance régionale et de la manière brutale avec laquelle elle manifeste ses revendications territoriales. Alors ils se tournent vers, les Etats-Unis, pour lui demander de rester dans la région ou de conforter ses alliances militaires locales. Ils veulent l'Amérique pour se protéger, la Chine pour se développer. L'Amérique, bien entendu, a répondu présent. Elle estime qu'elle joue son statut de puissance numéro 1 dans le Pacifique, car c'est là que sont les marchés de demain, c'est là qu'est la croissance d'aujourd'hui. Bref, c'est là que se trouve le plus grand potentiel de développement économique sur la planète. Elle a donc renforcé ses alliances militaires dans le Pacifique, et la Chine y voit une volonté de la contenir, d'endiguer sa montée en puissance. Bref, elle y voit une attitude hostile, et l'on ne peut écarter l'éventualité d'un affrontement, même très localisé. C'est toute l'ambiguïté de la relation sino-américaine, mélange d'interdépendance et de rivalité stratégique.
C'est une situation qui peut rappeler la guerre froide, mais elle est différente ».
Nous, en tant que petit peuple en lutte pour son indépendance, face à un état colonisateur soucieux de maintenir sa domination sur notre pays au nom de ses intérêts supérieurs, face à deux mastodontes tels que la Chine et les USA ainsi que leurs pays satellites, que pouvons nous espérer et quelle est notre marge de manœuvre ? Il s’agit donc de bien réfléchir à cette situation et de proposer des stratégies efficaces et sérieuses. Les quelles pistes proposées ci après peuvent aider à définir notre conduite à tenir dans cet avenir qui s’avère de plus en plus difficile à bâtir.
Accorder une attention particulière à la tactique française de "laisser du temps au temps" et de repousser les échéances politiques à l’infini. Dénoncer auprès des instances du Fer de lance mélanésien, du Forum et de l’ONU, la situation de « glaciation » dans laquelle le pays est entré par la volonté de certains partis politiques : tout est gelé ou remis à plus tard (réforme de la fiscalité, dossiers de transfert …)
En être conscient et suivre avec une attention particulière la remise en route de la stratégie de la tension depuis les législatives et actuellement, notamment avec l’opération une "tribu dans la ville", avec la manipulation de notre jeunesse. Le système colonial a parfaitement identifié ce point faible dans la société kanak : « une partie de sa jeunesse en perte de repère ». Comme il a aussi pointé les nombreux conflits nés des revendications foncières ou des rivalités de légitimité coutumière, conséquences directes du fait colonial (spoliation des terres, expulsion, destitution des autorités traditionnelles …) souvent savamment entretenues. Ce genre de piège va se démultiplier avec l’approche de 2014, tout cela dans un seul but : discréditer la revendication nationaliste kanak par la peur.
Profiter de la visite du ministre de l’outre mer Victorin Lurel pour lui demander ce que veut son gouvernement pour la Nouvelle Calédonie. Le discours angélique du ministre sur l’Etat arbitre se tenant à « équidistance » des uns et des autres ne peut tromper personne puisque dans les faits il s’agit bien de poursuivre à tout prix la main mise de la France sur ce territoire du pacifique, lieu de la croissance mondiale en ce début du 21ième siècle. De même se servir de l’opportunité de la réunion du comité des signataires pour dénoncer la situation actuelle, faire connaitre notre position et la transmettre à l’ONU qui suit de très près l’évolution politique de la Nouvelle Calédonie même si parfois elle donne l’impression de renvoyer les signataires dos à dos. Réaffirmer à ce comite notre choix pour l’indépendance et demander le transfert de l’article 27 de la loi organique de 1999. Confirmer qu’il n’y aura pas d’autre accord que celui de l’accession à la souveraineté : toute autre option sera non négociable.
Eviter de faire glisser notre pays vers un clone des institutions françaises, genre « copier coller » pour les transferts, d’où urgence de l'élaboration de notre constitution en cohérence avec une " Fédération des Etats mélanésiens » la structure régionale qui devra succéder au Groupe du Fer de Lance Mélanésien : en regroupant les population mélanésiennes du Vanuatu (250.000), Fidji (800.000), Salomon (700.000), la Papouasie Nouvelle Guinée( 7 millions), Timor Leste (1 million) et la Nouvelle Calédonie (250.000), une Fédération de ces états peuplés d’environ dix millions de personnes (ou treize millions en intégrant West Papua) serait largement viable.
A ce niveau, il sera important de définir comment l’UC compte organiser l’accueil du sommet du Fer de Lance puis la présidence sur les deux ans à venir. Dans ce cas, il est hors de question que la Nouvelle Calédonie entre comme membre à part entière de notre organisation régionale, elle risque d’agir comme « cheval de Troie » pour la politique française, car il s’agit là d’une stratégie clairement exprimée par le ministre de l’outre mer à Paris en octobre dernier : les territoires français sont là pour défendre les intérêts de la France. Il conviendra enfin de reprendre notre place au sein du Forum du pacifique.
Pour exister et défendre nos intérêts face à la France, face aux géants du pacifique, il sera nécessaire d’affiner notre stratégie propre au sein de l’UC et du FLNKS : définir notre rôle et le rôle du Fer de Lance mélanésien, envisager une nouvelle approche vers le Forum du pacifique et mener des rencontres avec les représentants de la Chine et des USA non pas par l’intermédiaire de la France mais de notre propre initiative en relation avec notre organisation régionale mélanésienne.
R.W.
Naku press : Mise en ligne le 23/11/2012