"Monsieur le Président
Nous abordons aujourd’hui et pour la première fois, le débat d’orientation budgétaire conformément à l’article 61 de la loi organique du 3 août 2009. Au nom du groupe FLNKS, je vais vous exposer notre analyse à partir du document proposé par le gouvernement. L’examen des trois scénarios retenus donnera lieu à une série de propositions sous tendues par la vision du FLNKS quant à la construction d’un pays en voie d’émancipation et devant évoluer vers sa pleine souveraineté.
Il n’y a pas de décolonisation sans décolonisation sociale, c’est pourquoi l’économique tient une place particulière dans la stratégie globale du FLNKS pour qui le développement dans ce domaine particulier, ne peut se résumer en une dilapidation des richesses du pays par des comportements de prédation ou encore par une politique de copinage assimilé sous d’autres cieux au népotisme. C’est dans cet esprit que le FLNKS œuvre depuis plus de 25 ans à faire en sorte que la maitrise de nos ressources naturelles profite au rééquilibrage du pays et serve avant tout à l’intérêt général de la population calédonienne dans son ensemble quelque soit son origine ethnique ou sociale.
Ainsi c’est bien sous l’impulsion du FLNKS que la SMSP a pu obtenir la part majoritaire dans le projet d’usine du Nord, et que la création de la STCPI a permis à la Nouvelle Calédonie d’intégrer le capital de la SLN et d’ ERAMET. Cette démarche a permis de mettre fin à plus d’un siècle d’exploitation de nos richesses avec des bénéfices et des dividendes fuyant alors nos rivages pour enrichir d’autres personnes ou organismes en France ou ailleurs. Ces mesures, ajoutées aux impôts existant et notamment l’IS35, ont permis aux recettes fiscales liées au nickel d’ impacter favorablement les budgets de la NC et de ses collectivités : 9,6 milliards en 2005, 23 milliards en 2007, 21 milliards en 2008 dont 9 versés à la SLN au titre de remboursement de crédit d’impôt qu’on voit en retour apparaitre cette année en reversement à la NC pour une somme de 5 milliards.
Le FLNKS s’est toujours battu pour la justice, l’égalité l’équité et le rééquilibrage, faisant ainsi bénéficier tout le pays au progrès économique et social. De même que lorsqu’il s’est battu pour la liberté, c’est la liberté en elle-même qui a progressé dans le pays, une liberté pour tous.
Les indicateurs économiques notent invariablement que l’économie de la NC se porte bien. Elle puise une grande partie de sa croissance dans ses projets miniers. Son tissu économique domestique diversifié et un savoir humain à fort potentiel font de notre pays, un pays prospère doté d’une bonne qualité de vie, ce qui le place au 34ième rang mondial selon l’indicateur de développement humain des Nations Unies.
Il n’en reste pas moins que la NC doit poursuivre la diversification de son économie afin de s’affranchir progressivement de sa forte dépendance de sa mono production du nickel (90% de nos exportations). Et puis, bien sur, il est nécessaire qu’au vu des inégalités sociales et économiques (25% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté), des mesures d’urgence doivent être prises afin de rétablir l’équilibre entre les différentes classes sociales.
En son temps, l’économiste Jean Freysse avait qualifié notre économie d’économie assistée du fait de la part importante des transferts de l’Etat français dans le fonctionnement de notre économie ce qui avait fait dire à certains que si demain les 180 milliards XFP de transfert de l’Etat s’arrêtaient, où trouverait-t-on la contrepartie pour pallier à ce retrait. La question est légitime on ne peut en tant qu’indépendantiste ou même d’autonomiste convaincu évacuer cette question. Il s’agit là d’ailleurs d’une question récurrente qui se pose à chaque fois qu’il nous faut trouver des ressources budgétaires supplémentaires.
C’est là où la problématique fiscale peut répondre en partie à cette question. En effet, tout Etat de droit puise de façon générale ses ressources dans ses recettes fiscales. En comparaison, si l’on suit des simulations effectuées récemment, le taux de prélèvement obligatoire de la NC est de 29% alors qu’il est à 44% en France, ce n’est peut être pas comparable mais il nous reste quand même de la marge. Osons tout de même la comparaison, avec un taux de prélèvement à 29% on atteint 190 milliards XFP, avec 44% on est à 290 milliards, on couvre déjà prés des 2/3 des transferts ! En raisonnant avec des salaires non indexés le pays pourrait alors considérer que le besoin de transfert est éliminé grâce à une politique fiscale identique à celle de la France. Le rendement est encore plus important si on s’alignait sur d’autres pays européens comme la Suède ou la Norvège ou le taux de prélèvement est entre 50 et 55%. L’homologie avec ces grands pays peut aussi s’appliquer en matière de fiscalité.
S’agissant de l’endettement et des propositions du gouvernement de recourir à un emprunt annuel de 5 milliards (scénario 1), il convient de noter que tout pays recoure à l’endettement pour financer ses dépenses. Une des dernières estimations relève que la NC est endettée à 5% de son PIB (indicateur économique qui mesure la richesse crée dans un pays) contre 65% pour la France. Plus prés de nous, dans notre zone pacifique, l’Australie et la Nouvelle Zélande sont endettés respectivement à 15 et 20%.
En comparaison avec les taux d’endettement de l’Australie et de la Nouvelle Zélande, la Nouvelle Calédonie bénéficie d’une marge variant d’une trentaine de milliards XFP à environ 120 milliards XFP de possibilité d’emprunt pour le financement de ses besoins budgétaires. Mais encore faut t-il comme l’indique le rapport du gouvernement rendre positive la capacité d’autofinancement (CAF) ou capacité de la collectivité à épargner sur son fonctionnement pour financer ses opérations d’investissement.
La rendre donc positive et si possible atteindre les 15% des recettes de fonctionnement. Cette CAF était négative en 2008 et 2009 du fait d’un tassement des recettes fiscales nickel après l’embellie de 2007. Cette négativité du CAF est bien le signe que le pays vit au dessus de ses moyens. Les excédents dus à cette embellie ont été largement utilisés par les pouvoirs politiques en place à ce moment là (dont notamment des dépenses à fort relent électoraliste ou somptuaire) au lieu de prévoir en temps de vaches grasses de l’herbe pour le temps des vaches maigres. L’UC et l’UNI ont d’ailleurs à mainte reprise rappelé au cours de ces années l’impérieuse nécessité de se constituer des réserves à partir de cette manne nickel, ils n’ont pas été entendus !
Cela doit nous servir de leçon, il est donc grand temps de se donner des objectifs dans trois directions. Parvenir tout d’abord à un assainissement de nos finances publiques et restructurer l’économie du pays. Se prémunir ensuite de toute politique de prédation sur les richesses du pays qui appartiennent par principe à l’ensemble de sa population et non à une catégorie de personnes ou de parti politique. Mettre enfin en place un fond que nous appelons fonds souverain, fond pour les générations futures ou fonds stratégique de redéploiement économique afin d’assurer l’avenir du pays au lieu d’entretenir un système d’exploitation et de pillage digne des républiques bananières.
Il est temps de le faire puisque les perspectives concernant le secteur du nickel sont bonnes. En effet les cours s’orientent à la hausse. Les dernières brèves économiques de l’IEOM de septembre 2010 indiquent que le chiffre d’affaires de la branche nickel d’ERAMET a augmenté de +56% au cours du premier trimestre de l’année en cours. Par ailleurs il est prévu dans les mois qui viennent, la mise en production des deux usines, du sud et du nord. Enfin une progression significative de la consommation des ménages est attendue. La combinaison de ces différents facteurs induirait une accélération des rythmes de croissance après 2012 pouvant atteindre 3 ,8% contre 2,2 en 2010.
S’agissant des dépenses de fonctionnement, le rapport du gouvernement indique qu’elles doivent être non seulement maitrisées, mais qu’elles doivent diminuer dans une proportion de -9,2% soit une diminution de 3,5 milliards XPF afin de permettre à la CAF d’atteindre les 15% des recettes de fonctionnement à l’horizon 2013 pour rendre possible et raisonnable à ce moment là capacité d’emprunt de la Nouvelle Calédonie. Agir sur les dépenses de fonctionnement est une bonne chose, notre groupe partage ce point de vue dans le cadre de la rationalisation des moyens et de la procédure d’assainissement de nos finances publiques.
Mais, il y a un mais, car nous avons entendu le rapport du gouvernement sur l’état des services hier matin, et il nous semble qu’il sera difficile de dégraisser l’administration sans porter atteinte à l’objectif principal du service publique qui est d’administrer. L’administration doit fonctionner avec un minimum de moyens et sans ces moyens nous ne pourrons pas disposer d’une administration digne de ce nom. Notre situation n’est pas celle de la France avec une administration pléthorique qu’il est possible de ramener à des effectifs raisonnables sans porter préjudice au service du aux citoyens. Mais pour ce qui nous concerne, il nous est difficile de penser que nous avons atteint un niveau tel que notre marge de manœuvre est importante pour « dégraisser ». Et quel sera l’impact de cette politique sur la consommation des ménages étant donné que la consommation des ménages pèse 60% du PIB donc est un facteur essentiel de la croissance. On peut certes compter sur le secteur privé mais un équilibre est à trouver entre emploi secteur privé/secteur public.
La NC est un pays en voie d’émancipation, nous aurons besoin de ressources importantes en fonctionnement pour financer nos transferts. Car il est clair que la France ne pourra pas supporter indéfiniment les charges liées à ces transferts, étant donné ses besoins internes même si la croissance est aussi repartie pour elle. Et puis notre analyse est que l’Etat s’arrange toujours pour faire supporter à sa collectivité outre mer des charges dont il l’estime capable de pouvoir assumer, tout en se gardant de lui laisser plus d’autonomie ou de liberté, les états colonisateurs ont toujours fonctionné ainsi et personne ne trouve à redire !
Il nous reste donc à nous tourner vers la fiscalité afin de trouver de nouvelles ressources et à vous proposer une politique fiscale réaliste et possible pour assurer le financement de nos besoins. Je rappelle que le groupe FLNKS s’est abstenu lors du vote des précédents budgets pour la raison que ses propositions en matière fiscale n’étaient pas prises en compte. On vous propose donc d’ouvrir des discussions en la matière en fonction des quelques principes suivants guidés par le souci d’une réhabilitation de l’impôt permettant de faire de la redistribution des plus riches vers les plus pauvres. Une réforme fiscale qui ne veut pas dire automatiquement augmentation de la pression fiscale, doit être envisagée comme une voie d’amélioration qui traduise les valeurs de partage et de répartition des richesses en conformité avec nos orientations économiques et politiques :
- Améliorer le rendement fiscal et combattre la fraude fiscale en particulier chez les indépendants. D’où la nécessité de recruter des fonctionnaires compétents et aptes à mettre en place un véritable contrôle fiscal sérieux et digne de ce nom. Ceci permettra de combattre l’évasion fiscale qu’il est possible d’évaluer à quelques milliards XPF.
- Afin d’éviter d’imposer encore plus les salariés, il serait peut être possible d’envisager la mise en place d’une forme de contribution sociale généralisée basée sur une assiette plus élargie que la CES qui commence à dater (1983), on pourrait y intégrer notamment : les dividendes, les pensions retraites, les revenus du capital, les indemnités des gérants…
-Rechercher les niches fiscales (exonérations de charges, mesures de défiscalisation, réduction de taux, abattements d’assiette) où il sera possible de réduire le manque à gagner pour le pays.
-Renégocier la convention fiscale avec l’Etat afin de pouvoir taxer les sociétés ayant leur siège social en France. Il n’est pas normal que de grandes sociétés aux activités très lucratives telles que les banques ou les compagnies d’assurance ne paient pas l’impôt sur les sociétés. Ouvrir par ailleurs des discussions tendant à une taxation des transactions financières internationales.
-Envisager la possibilité de taxer les minerais à l’exportation, le minerai de nickel et cobalt étant une richesse exportée qui ne renouvelle plus.
-En termes d’impot nouveau, le groupe FLNKS propose enfin la mise en place de la TVA sociale en même temps que la TVA. Rappelons que la TVA a une assiette large et qu’elle est transparente. De plus les entreprises ne paient la TVA que si elles vendent leur marchandise. On connait sa composition, mais elle continue de susciter de la méfiance et même du rejet par les commerçants car si on connait la composition du prix, on connait par voie de conséquence les marges qu’ils réalisent. La TVA sociale vise quand à elle à changer le mode de financement de la protection sociale, en augmentant la TVA et en baissant d’un montant équivalent (ou en éliminant) les cotisations sociales.
Il s’agit là de quelques propositions que le groupe FLNKS espère faire valoir au sein d’une commission spéciale sur la réforme de la fiscalité de la Nouvelle Calédonie. Il conviendrait donc dans cet esprit de réanimer dans les meilleurs délais la commission ad hoc."
Le président du groupe FLNKS
R.WAMYTAN