vendredi 29 octobre 2010

Transfert de la "sécurité civile": un marché de dupes

Le transfert de compétence de la sécurité civile est prévu au point 3.1.2 de l’accord de Nouméa qui précise « au cours des second et troisième mandat du congrès, les compétences suivantes seront transférées à la Nouvelle-Calédonie. »

« L’élaboration des règles et la mise en œuvre des mesures intéressant la sécurité civile. Toutefois un dispositif permettra au représentant de l’Etat de prendre les mesures nécessaires en cas de carence. »

Afin de permettre la mise en œuvre de ces dispositions la loi n°2004-811 du 13 août 2004 portant modernisation de la sécurité civile en métropole à prévu dans son article 86 que ce texte serait adapté à la Nouvelle-Calédonie par ordonnance.

Une première ordonnance n°2006-172 du 15 février 2006 portant actualisation et adaptation du droit applicable en matière de sécurité civile en Nouvelle-Calédonie fut adoptée. Cette ordonnance donne la définition suivante de la sécurité civile :
« La sécurité civile en Nouvelle-Calédonie a pour objet la prévention des risques de toute nature, l’information et l’alerte des populations ainsi que la protection des personnes, des biens et de l’environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophes par la préparation et la mise en œuvre des mesures et des moyens appropriés relevant de l’Etat, des collectivités territoriales et des autres personnes publiques ou privées. »

…………………………………………………………………………………….

« Sur le territoire de la commune, le maire est responsable de l’organisation, de la préparation et de la mise ne œuvre des moyens de secours dans le cadre des textes législatifs et réglementaires applicables en matière de sécurité civile. »
« L’Etat est garant de la cohérence de la sécurité civile en Nouvelle-Calédonie. Il est définit la doctrine et coordonne tous les moyens. »
« Avec le concours de la Nouvelle-Calédonie et des provinces dans le cadre de leurs compétences, ainsi que des communes, il évalue en permanence l’état de préparation aux risques et veille à la mise en œuvre des mesures d’information et d’alerte des populations. »
« La Nouvelle-Calédonie et les provinces concourent à la prévision des risques de sécurité civile dans le cadre des compétences qui leurs sont dévolues, notamment en matière de protection de l’environnement, d’aménagement du territoire et d’urbanisme. »

« Sans préjudice des dispositions relatives à l’organisation de l’Etat en temps de crise[1] et de celles du code des communes, le HC coordonne les opérations de secours excédant le territoire d’une commune ou dont l’ampleur excède les moyens de la commune. »

Il ressort de ces dispositions que la sécurité civile est, à titre principal, une compétence de l’Etat, dont l’exercice est partagé avec la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes.

Sur le territoire communal c’est en le maire application de son pouvoir de police (article L. 131-2, 4°) qui exerce la compétence de sécurité civile avec les services d’incendie et de secours. Mais il peut provoquer l’intervention de l’Etat s’il est dépassé par la gravité des évènements et, en application de l’article L.131-13, le HC peut se substituer au maire. Cela suppose donc que l’Etat doit disposer de moyens.
Mais, alors même que l’ordonnance de 2006 n’est toujours pas appliquée, l’Etat modifie le dispositif prévu, sans tenir compte des réserves exprimées par le congrès, et instaure par ordonnance n°2009-1336 du 29 octobre 2009 une nouvelle organisation reposant pour l’essentiel sur un établissement public d’incendie et de secours de la Nouvelle-Calédonie (EPIS), qui vient se substituer aux services d’incendie et de secours communaux.

Qu’est-ce qui explique ce brusque revirement ?

Avec la loi organique du 3 août 2009 l’Etat dispose d’un pouvoir de substitution d’action envers le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie si celui-ci ne prend pas les mesures nécessaires en cas de crise. Dans cette hypothèse, il doit donc agir au lieu et place de la NC et doit à ce titre disposer de moyens dédiés à la sécurité civile.
Hors avant le transfert de compétence, le service de la sécurité civile du haut-commissariat ne dispose que de deux officiers de sapeurs-pompiers et cinq agents administratifs, qui ne sont d’ailleurs pas mentionnés dans la convention conclue avec le gouvernement local, leur transfert à l’EPIS ayant d’ores et déjà été programmé par l’Etat. A défaut de moyens propres, en cas de crise l’Etat s’appui sur les moyens de communes et des FANC.
Ainsi en 2011, l’Etat va transférer une compétence dépourvue de moyens à la Nouvelle-Calédonie qui, de surcroît, ne va bénéficier que d’une dotation de compensation ridiculement faible, rendant impossible l’exercice de cette nouvelle compétence.

A défaut de moyens, la Nouvelle-Calédonie n’aura donc pas d’autre alternative que de se tourner vers la seule structure existante : l’établissement public d’incendie et de secours, pour lui confier la gestion des risques de sécurité civile et vers l’Etat en cas de crise, lui seul étant en mesure de mobiliser les FANC.

On comprend ainsi aisément que le transfert de compétence de la sécurité civile s’apparente a un marché de dupes :

-L’Etat transfert une compétence juridique sans moyens les moyens qui seraient nécessaires à sa mise en œuvre. Il s’agit donc en vérité d’un transfert de charges.
- L’Etat ne disposant actuellement pas d’autres moyens que ceux des FANC, il sait que la Nouvelle-Calédonie ne pourra pas exercer cette compétence après le transfert et qu’il ne sera pas en mesure de se substituer à elle.
-Comme la loi organique du 3 août 2009 lui donne compétence pour agir au lieu et place de la NC en cas de crise, il doit cependant pouvoir s’appuyer sur des moyens qu’il n’a pas, hormis ceux des FANC.
- C’est pourquoi l’Etat s’efforce aujourd’hui de créer l’établissement public d’incendie et de secours dont il peut s’assurer de la disponibilité des moyens par le biais, du schéma directeur d’analyse et de couverture des risques (SDACR) et du règlement opérationnel (RO) qu’il impose aux collectivités membres, mais aussi par la nomination de l’encadrement de cet établissement public et sa compétence opérationnel.

Ainsi le transfert de compétence de la sécurité civile à la Nouvelle-Calédonie constitue une bonne affaire pour l’Etat. En effet, bien que ne disposant plus de la compétence, transférée sans moyens et au moindre coût, il conserve néanmoins la possibilité d’agir avec les moyens des collectivités qui financent l’EPIS.
Ce transfert de compétence, loin de renforcer l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie va donc accroître, dans la configuration proposée, sa dépendance envers l’Etat. Le dispositif préconisé par l’Etat, qui repose essentiellement sur l’EPIS, va de ce fait à l’encontre des principes de l’accord de Nouméa qui évoque des transferts de compétences irréversibles.

En outre le projet d’EPIS est combattu car les élus membres du conseil d’administration ne pourront pas en maîtriser l’évolution budgétaire, dans la mesure où son organisation et ses moyens lui seront imposés par l’Etat avec le SDCAR et le RO qui sont pris par arrêté du haut-commissaire.

Que faire ?



[1] La loi organique n°2009-969 du 3août 2009 modifie celle du 19 mars 1999 et précise « A compter du transfert de compétence en matière de sécurité civile, le HC peut prendre, dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités de la NC, toutes mesures nécessaires visant à assurer la sécurité civile. »