jeudi 29 septembre 2011

Pierre Frogier à la fête 2011 de la citoyenneté à Balade

Messieurs les autorités coutumières,
Mes chers amis,
Merci au comité d’organisation des commémorations
du 24 septembre,

Merci à la population de Balade mobilisée par la fête de la citoyenneté,

Car tout commence à Balade, où nous sommes aujourd'hui rassemblés !
Tout commence ici, à Balade, où notre présence en ce 24 septembre est, pour chacun d'entre nous, un symbole fort.
Très fort, comme un retour aux sources de notre histoire.
Tout commence à Balade, sur cette terre que James Cook découvre en 1774 et qu'il dénomme "Nouvelle-Calédonie".
C'est ici, que l'amiral d'Entrecasteaux viendra mouiller, quelques années plus tard, en 1793.
C'est ici, qu'en 1843, les missionnaires célèbrent la première messe.
C'est ici, que le drapeau français est hissé pour la première fois. C'était le 1er janvier 1844, lors d'une cérémonie de reconnaissance de souveraineté signée entre les officiers français et les chefs de l'île Opao.
C'est ici, enfin, que le 24 septembre 1853, le contre-amiral Febvrier-Despointes prend officiellement possession de la Nouvelle-Calédonie au nom de l'empereur Napoléon III.
Tout commence à Balade qui, dans ces temps anciens, était la porte d'entrée sur la Grande terre, des navigateurs, découvreurs, savant et géographes venus d'Europe.
C'est ici que se sont déroulées les premières rencontres, qu'ont eu lieu les premiers contacts.
Et nous imaginons la stupeur ressentie alors de part et d'autre !
Il y avait de l'étonnement, sûrement, de l'effroi, probablement, de l'incompréhension, certainement, à voir arriver ces immenses navires à voile qui venaient d'un monde inconnu.
Mais il y avait aussi, sans nul doute, la même crainte et la même stupéfaction à découvrir les habitants de ces contrées lointaines.
Assurément, cette première rencontre entre les ancêtres de nos deux communautés, fut un choc !
L'un de ces moments exceptionnels, uniques, qui écrivent l'histoire, frappent les mémoires et les imaginations, et laissent une empreinte indélébile, gravée à jamais dans notre patrimoine commun.
Ce fut un choc entre deux mondes, des contacts parfois douloureux et violents.
On se souvient encore, ici-même, à Balade, du martyr du frère Blaise Marmoiton, qui figure sur l'un des vitraux de votre église.
Mais l'on pense aussi à l'exécution de Felipo Boueone, le chef de Balade, en 1858.

C'est ici que commence cette histoire dense, riche, mouvementée que nous partageons depuis 158 ans.
Cette histoire qui fonde la légitimité de nos deux communautés qui se sont rencontrées, découvertes et reconnues.
Elles sont allées l'une vers l'autre et elles ont essayé de se comprendre.
Elles se sont aimées, elles se sont détestées.
Elles se sont mélangées, elles se sont séparées.
Elles se sont ignorées, elles se sont recherchées.
Elles se sont rassemblées, notamment lors des deux grands conflits mondiaux, qui ont vu des soldats français, Calédoniens, d'origine européenne et mélanésienne, partir ensemble, à l'autre bout du monde, pour défendre "la mère patrie".
Mais elles se sont affrontées, il n'y a pas si longtemps, et cette histoire commune aurait pu se terminer dans le sang et les larmes si, au bord de la rupture, nous n'avions pas choisi la voie du pardon.
Cette histoire, c'est la nôtre !
Celle des mélanésiens, qui occupaient cette terre depuis des millénaires.
Celle des européens qui y sont arrivés il y a plus de 150 ans.
Celle des autres communautés qui, depuis, volontairement ou non, s'y sont installés et y ont fait souche.
Une histoire qui, bien sûr, a ses ombres et ses lumières !
Mais, dites-moi, comment peut-il en être autrement ?

Cette histoire commune, nous devons la conserver précieusement, nous devons la porter, nous devons la transmettre.
C'est notre bien commun.
C'est ce qui nous relie à nos anciens, à nos ancêtres.
C'est aussi ce qui tisse ce lien si particulier entre nous.
Mais nous ne devons pas pour autant en être prisonniers, ni rester enfermés dans des schémas dépassés !
Après plus de 150 ans de cheminement chaotique, nous débutons aujourd'hui une nouvelle étape de cette histoire.
Nous avons choisi d'emprunter le chemin de la paix, celui de la confiance, du partage et du rééquilibrage.
Nous nous sommes engagés à construire le destin commun auquel nous appelle l'Accord de Nouméa.
Récemment, nous avons fait un pas décisif les uns vers les autres.
Dans un geste de reconnaissance mutuelle, nous avons décidé, sur ma proposition, de faire flotter ensemble le drapeau tricolore et le drapeau identitaire kanak.
Deux drapeaux qui racontent, illustrent et résument l'histoire contemporaine de notre communauté humaine.
Et je veux vous demander, aujourd'hui, à Balade, en ce 24 septembre.
Y a-t-il meilleur symbole de réconciliation et de volonté de vivre ensemble que ces deux drapeaux qui flottent, côte à côte, là où, pour la première fois, nous nous sommes rencontrés ?
Quand le temps a passé, y a-t-il meilleure traduction de cette histoire commune qui, depuis plus de 150 ans, associe l'identité mélanésienne et océanienne de la Nouvelle-Calédonie à son identité européenne et française ?
Les deux drapeaux nous obligent à regarder l’homme kanak et à faire chemin avec lui :
Comme ils obligent les kanak, à leur tour, de regarder l’autre, et faire chemin avec lui, et non plus contre lui.
Ces deux drapeaux additionnés expriment notre volonté de vivre ensemble dans une Calédonie enfin réconciliée.
Ensemble, ils représentent la paix et l'unité, valeurs communes autour desquelles nous pouvons nous retrouver.
Ils traduisent, aussi, la confiance retrouvée et les nouvelles relations qui existent entre les partenaires des Accords.
Et peut-être permettent-ils d'esquisser les contours de la citoyenneté calédonienne dont l'Accord de Nouméa nous demande de poser les bases.
Une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie qui doit permettre "au peuple d'origine de constituer, avec les hommes et les femmes qui y vivent, une communauté humaine affirmant son destin commun."
Par ailleurs, le Président de la République, dans son discours de Païta, nous a donné son accord pour y travailler de façon positive, afin de réfléchir sur ce qui nous rapproche, sur ce que nous pouvons construire ensemble.
Et il nous a affirmé que la République est suffisamment solide pour supporter que des hommes de bonne volonté débattent de cette question

Personnellement - et vous le savez - j’ai la conviction que ce n’est pas parce que l’on se sent profondément Calédonien que l’on est moins Français.

C'est dans cet esprit que le 24 septembre devra désormais être célébré, comme la fête de la citoyenneté.
Ce 24 septembre qui fut, pour les uns, jour de deuil en mémoire de la prise de possession, pour les autres, jour de célébration du rattachement de la Calédonie à la France.
C’est bien du fait de ce schéma que ces dernières années, la fête de la citoyenneté a balbutié.
La citoyenneté est restée une coquille vide, parce que nous avons fait l'erreur de l'enfermer dans des concepts juridiques.
Parce que nous l'avons définie, par défaut, en la cantonnant dans des notions d'emploi local et de corps électoral.

Parce que nous en avons fait un instrument d'exclusion alors qu'elle doit être synonyme d'adhésion et d'intégration.
La citoyenneté, c'est ce qui doit créer des liens et qui doit unir et rassembler.
La citoyenneté, c'est ce qui permet de regarder ensemble dans la même direction et de porter des projets communs.
La citoyenneté calédonienne doit être basée sur l'addition des valeurs que nous partageons et dont nous trouvons les racines dans nos cultures respectives.
Les valeurs d'accueil, de respect et d'humilité que porte la civilisation mélanésienne.
Les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, qui fondent la République française.
Nous devons faire en sorte que ces valeurs s’unissent pour traduire la reconnaissance et l’acceptation de l’autre, car la citoyenneté est constituée de ce qui « lie » les hommes, de ce qui les unies.
Pour y répondre, je vous propose que ce lien entre les femmes et les hommes de Nouvelle-Calédonie, soit le geste coutumier, qui en plus de sa valeur spécifiquement coutumière, pourrait devenir ce geste d’amitié, que chacun intègrerait dans ses
pratiques.
Ce geste deviendrait un signe d’alliance, de lien, et donc d’unité entre toutes nos communautés.
Ainsi grâce à ce geste partagé par tous qui deviendrai le symbole visible de la citoyenneté calédonienne.
Nous sortirons ce concept de « citoyenneté calédonienne » qui fait peur des ambigüités dont il est prisonnier.
Nous devons donner à la citoyenneté calédonienne ce contour positif qui permettra à tous de se l'approprier.

Et nous devons l'élargir pour y accueillir tous ceux qui partagent nos valeurs, qui veulent participer à ce vivre ensemble et être acteur du destin commun.
C'est ce que je voulais vous dire, vous faire partager en ce 24 septembre, à Balade, là où tout a commencé !

Au moment d’achever ce propos, permettez-moi d’avoir une pensée pour un enfant de cette terre, descendant de la chefferie POUMA qui a accueilli, ici les premiers missionnaires.
Benjamin a fait partie de ma famille pendant 30 ans. Il a élevé mes enfants. Il repose aujourd’hui, à Balade - c’est pour lui que je suis aussi venu aujourd’hui.