Lors de la séance publique au Congrès le 1er septembre 2011, une séance consacrée au budget supplémentaire de la Nouvelle Calédonie 2011, Didier Leroux a dévoilé ses propositions de réforme de la fiscalité...
"Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Vers l’année 2005, les recettes de l’impôt sur la fiscalité minière et métallurgiques, aussi appelé IS 35, se sont envolées, en même temps que les cours du nickel, pour passer en quelques années de 500 millions à un chiffre voisin de 17 milliards. A cette époque, nous avons été peu nombreux à dire : « Attention, il s’agit de recettes conjoncturelles, à caractère exceptionnel ! Ne laissons pas les dépenses pérennes, les dépenses permanentes, augmenter inconsidérément, spécialement les dépenses de fonctionnement et celles de personnel. » Mais nous n’avons pas été entendus.
Pourquoi disions-nous cela ? Parce que nous savions que cela risquait de ne pas durer… et ce qui devait arriver arriva. Ces recettes sont retombées pratiquement à zéro, avant de retrouver un rythme plus normal, et l’augmentation inconsidérée de nos dépenses de fonctionnement, décidée dans cette période d’euphorie budgétaire, est à l’origine de nos difficultés actuelles à équilibrer les budgets de nos institutions. En disant cela, je pense surtout à la Nouvelle-Calédonie, à la Province Sud et aux communes.
C’est à cette époque que j’avais proposé de remplacer la plupart des taxes à l’importation, la TSS et la patente proportionnelle par une TVA. Pourquoi ce choix ? Parce que la TVA est « bon impôt ». Cet impôt a trois qualités fondamentales :
- Son assiette est la plus large possible : la consommation ! Dès lors un faible taux rapporte beaucoup et en période de difficultés budgétaires un faible ajustement du taux aurait permis de compenser la baisse des recettes du nickel.
- Il est neutre pour les entreprises. Donc il favorise le développement économique et les exportations et ne casse pas la croissance.
- Il n’est pas inflationniste, car contrairement aux taxes à l’importation, il ne rentre pas dans le prix de revient des marchandises et les entreprises ne font pas de marges sur l’impôt, comme c’est le cas actuellement.
J’ai entendu en commission un de nos collègues, opposé à cet impôt, dire qu’il était injuste car il frappait plus durement les petits revenus. Encore une idée reçue bien démagogique qui ne peut impressionner que ceux qui ne réfléchissent pas. Car que font aujourd’hui les taxes à l’importation qui rentrent dans la composition des prix ? Combien de taxes payez-vous lorsque vous achetez un bien de consommation quelconque ? Vous n’êtes pas capables de le dire, car c’est opaque et noyé dans la masse. Avec la TVA c’est transparent et le montant de la taxe apparaît sur la facture ! Je sais que cette transparence inquiète un certain nombre qui ne veulent pas que l’on sache de quoi sont fait leurs prix, mais il est temps que ça change.
Je le redis aujourd’hui, car ceux qui se sont opposés à cette réforme, n’ont toujours pas compris que la Nouvelle-Calédonie avait besoin d’un outil fiscal souple, à large assiette, qui ne pénalise pas les entreprises créatrices de richesses et d’emploi, qui ne casse pas le développement économique. Ils n’ont toujours pas compris que faute de disposer d’un tel outil, le risque est que les collectivités aillent chercher les recettes dont elles ont besoin en créant des impôts ou des taxes anti économiques, ou en augmentant les centimes additionnels comme on l’a vu récemment, sans se préoccuper des conséquences sur la compétitivité de nos entreprises.
Le schéma de réforme de la fiscalité indirecte qui nous est proposé aujourd’hui est intelligent car sa mise en place est progressive. Cette réforme est nécessaire et nous devons aller de l’avant avec courage, sans laisser les démagogues, les populistes et les lobbies nous détourner de notre but.
A la demande d’un certain nombre de nos collègues, le gouvernement nous propose aussi une analyse critique de notre fiscalité directe devant déboucher sur une réforme de cette dernière. Pourquoi pas ? Je n’y suis pas opposé, mais je pense que ce qu’ils découvriront est de nature à les surprendre… et à ébranler certaines idées reçues. Prenons l’impôt sur le revenu par exemple… La moitié des foyers fiscaux ne le paient pas ! Il est plus progressif qu’en métropole et la dernière tranche à 40% s’applique ici à partir d’un seuil qui est plus bas qu’en métropole !
Là aussi, gardons nous de toute démagogie… « Faire payer les riches » est un slogan qui plait mais qui porte en lui un risque, celui de les repousser. A tout prendre, je pense qu’il vaudrait mieux essayer de les attirer. Car quels sont ceux qui peuvent investir dans le pays et participer à son développement sinon ceux qui ont de l’argent ? Qu’on me comprenne bien, il n’est pas question de s’opposer à ce que ceux qui en ont les moyens participent plus ou mieux à l’effort de solidarité envers les plus démunis, mais tout est une question de mesure. « Trop d’impôt tue l’impôt ! » il s’agit de veiller à ne pas décourager ceux qui, par leur travail, par leurs investissements créent des richesses, des emplois, des activités qui bénéficient à toute la collectivité.
A nous également, les élus, de montrer que nous respectons ceux qui alimentent les caisses de nos collectivités, que nous respectons les contribuables, en ne gaspillant pas l’argent public à tort et à travers, dans des déplacements à quarante, dans des aménagements de bureaux magnifiques, dans des mission inutiles, dans des repas somptueux, dans des hôtels de luxe. Je l’ai dit à la Province Sud, je le redis ici : Quand il s’agit d’argent public, il n’y a pas de petites économies !
L’article 5 de la délibération que nous examinons nous propose d’étudier « les conditions d’une plus forte participation du secteur minier et métallurgique au financement des besoins publics ». C’est un vieux serpent de mer ! Avant d’investir chez nous des sommes considérables, les industriels du nickel ont voulu s’assurer d’une stabilité fiscale pendant une période suffisamment longue pour leur permettre de rentabiliser leurs investissements. Ils ont voulu être certains que les règles du jeu ne changeraient pas au gré des changements politiques qui pourraient survenir. Les industriels ne sont d’ailleurs pas les seuls concernés. Dans presque tous les cas cette assurance d’une stabilité fiscale est aussi une condition exigée par les banques pour financer les usines ou leur modernisation. Il s’agit donc ni plus ni moins que d’essayer de contourner l’engagement de stabilité fiscale en imaginant une redevance sur la tonne de nickel prélevé, qui serait hors du champ visé par le pacte de stabilité.
A ce sujet, je voudrais dire deux choses :
La redevance sur la tonne de nickel prélevée a déjà existé. Elle renchérit de manière automatique le prix du minerai. Lorsque les cours du nickel étaient particulièrement bas, cette redevance s’est révélée être un handicap insurmontable pour la commercialisation du nickel calédonien, au point qu’il a fallu la supprimer. On l’a donc remplacée par l’impôt sur les sociétés minières et métallurgiques – l’IS 35-, qui ne frappait que les entreprises qui faisaient des bénéfices. Et pour tenir compte du fait que la ressource prélevée n’était pas renouvelable, le taux de cet impôt a été fixé à 35%, alors que l’impôt sur les bénéfices des autres entreprises n’était que de 30%. L’histoire se répète, prenons garde à ne pas refaire les mêmes bêtises.
Mais il y a plus grave : Ce serait un très mauvais signal envoyé par la Nouvelle-Calédonie aux industriels du monde entier. Le monde du nickel comporte peu d‘acteurs à travers la planète capables d’investir dans des usines de transformation. Tout le monde se connaît, tout le monde se parle. Ils ne sont pas obligés de venir chez nous. Nous avons certes une ressource qui les intéresse, mais il y en a ailleurs. Il faut savoir ce que l’on veut et adopter une attitude cohérente. Prenez le cas de Vale Inco. Pour eux, comme pour l’usine du Nord, nous avons voté un plan d’incitation fiscale avantageux pour les attirer chez nous. Ils sont venus. A peine la Province Sud avait-elle délivré à Goro l‘autorisation d’exploiter, qu’elle décidait de leur appliquer une redevance d’occupation du domaine maritime qui allait leur coûter près d’un milliard par an… Ce type de comportement s’apparente à du racket. C’est un très mauvais signal. Alors, au-delà de la tentation qui semble saisir les uns et les autres de trahir sinon la lettre, du moins l’esprit du pacte de stabilité fiscale dont bénéficie notre industrie métallurgique, le risque est grand de voir les investisseurs potentiels se détourner d’un pays qui ne tient pas se engagements et qui prend les industriels en otage.
Je vous prie de m’excuser d’avoir été un peu long, mais réformer notre fiscalité n’est pas quelque chose d’anodin. Les conséquences à terme dépassent les enjeux immédiats et c’est aussi l’avenir de notre pays et de son développement qui sont en jeu. Mesurons bien la portée de nos actes. Prenons garde, dans notre désir de changement à ne pas tuer la poule aux œufs d’or par une réforme bâclée. C’est un travail considérable qui ne se fait pas en un jour et les moyens de nos services sont limités. Vouloir tout réformer d’un coup est le meilleur moyen de ne rien réformer du tout, alors avançons sans faiblesse, mais à la mesure de nos moyens."