lundi 21 juin 2010

Intervention de Déwé Gorodey lors du colloque anniversaire des Accords Matignon et de Nouméa au Sénat les 25 et 26 avril 2008


Monsieur le Premier Ministre, Michel ROCARD
Monsieur le Secrétaire d’Etat (à l’Outre mer), Yves JEGO
Monseigneur Paul GUIBERTEAU
Pasteur Jacques STEWART
Monsieur le Député Jacques LAFLEUR
Monsieur le Sénateur Simon LOUECKHOTE

Mesdames et Messieurs,



Harold MARTIN, Président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, est retenu au pays par l’important dossier des transferts de compétences et la présence en ce moment même, à Nouméa, des experts de la mission d’appui de l’Etat à cet effet.

Je vous transmets ses excuses et j’exprime ici son profond regret de ne pouvoir participer à cette rencontre à l’initiative du Réseau Asie du CNRS ; cette rencontre qui réunit pendant ces deux jours à Paris, à l’occasion du vingtième anniversaire des Accords de Matignon/Oudinot et des dix ans de l’Accord de Nouméa, de nombreux acteurs et grands témoins de ces pages de l’histoire contemporaine calédonienne.

Je voudrais également, en son nom, saluer l’ensemble de cette assemblée, et transmettre son plus cordial souvenir à vous, Monsieur le Premier Ministre, et aux personnalités présentes de « la mission du dialogue » rencontrées pour la première fois en mai 1988, ainsi qu’aux négociateurs de l’Accord de Nouméa dont il a été lui-même signataire.

Il m’a confié la tâche de porter devant vous aujourd’hui, en ma qualité de Vice Présidente, le message commun du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, un Gouvernement également représenté ici par plusieurs de ses membres représentant les groupes politiques qui le constituent.

Car, comme vous le savez, Mesdames et Messieurs, notre gouvernement est collégial et élu par le Congrès de la Nouvelle Calédonie à la proportionnelle des groupes, conformément aux dispositions de la loi organique de 1999, elle-même traduction juridique de l’Accord de Nouméa.
Par sa composition et son fonctionnement collégial, ce gouvernement est donc représentatif de l’esprit des accords de Matignon/Oudinot conclu en 1988, et de l’esprit et la lettre de l’Accord de Nouméa venu les prolonger 10 ans plus tard.

Notre gouvernement se situe donc également en prolongement de la poignée de main historique échangée entre notre regretté Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, poignée de main qui scella la conclusion de l’Accord de Nouméa.

Ce n’était pas une banale poignée de main, car elle scellait un accord de paix venant mettre fin à une situation tragique, dans laquelle les populations de notre pays, divisées en deux camps qui s’affrontaient violemment étaient au bord de l’insurrection.

C’est donc avec beaucoup d’émotion, de respect et de reconnaissance pour nos anciens, pour ceux qui nous ont quittés, pour les initiateurs et artisans du retour à la paix, que notre délégation gouvernementale vient participer aux commémorations de ces accords successifs, fondateurs de la Nouvelle Calédonie d’aujourd’hui.

L’intitulé de ce colloque pose comme une affirmation la nature fondatrice pour la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui des Accords de Matignon/Oudinot signés les 26 juin et 20 août 1988 et de l’Accord de Nouméa signé dans leur prolongement dix ans après, le 5 mai 1998.

Sans refaire une histoire que nous beaucoup d’entre nous ont vécue et avec laquelle nous entretenons un lien sensible de mémoire, je souhaite apporter quelques éléments d’analyse, non exhaustifs bien sûr, qui confirment cette affirmation ; et qui la complètent aussi, en traçant des perspectives pour demain, pour les autres grandes étapes qui se profilent et auxquelles la Nouvelle-Calédonie aura à faire face dans les toutes prochaines années.

Mais, si vous le permettez, Mesdames et Messieurs, je vais d’abord revenir à ce pari sur l’intelligence qu’était l’accord de Matignon.

Cet accord fut l’acte fondateur, dont l’accord d’Oudinot eut essentiellement pour objet de préciser et de l’aménager techniquement, puis celui de Nouméa d’en décider le prolongement. Tous ces accords furent très largement approuvés par référendums, puis constitutionnalisés.

Le véritable trait de génie de ce pari sur l’intelligence fut de refuser la notion de communautés, je veux dire communautés au pluriel, pour définir les diverses populations de notre pays.
Pas plus dans l’Accord de Matignon – que dans l’accord d’Oudinot – ou dans celui de Nouméa – ou dans la loi organique de 1999, n’apparaît le concept de communauté autrement que pour désigner la communauté de destin. Et là, le mot communauté est employé au singulier.

Tous les artisans de ces accords de paix étaient conscients que flatter la notion d’appartenance à des communautés ne pouvant qu’exacerber le communautarisme qui dans l’histoire du monde et encore trop souvent de nos jours est à l’origine de bien des affrontements aboutissant parfois au génocide.
Les accords, et le préambule de l’Accord de Nouméa est éloquent sur le sujet, ont reconnu le peuple kanak, qui n’a pas d’autre pays, comme peuple d’origine.

Ces mêmes accords ont reconnu aux populations issues de l’immigration, qu’elles soient descendantes d’immigrants volontaires ou pas, la légitimité leur permettant de constituer, avec le peuple kanak, une communauté de destin.
Un extrait d u préambule de l’Accord de Nouméa exprime bien l’esprit de cet accord, je cite : « Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun ».

Ainsi, le premier élément à souligner est que la signature des Accords de Matignon en juin 1988 a effectivement ouvert une ère de stabilité institutionnelle, prévue sur une période de 10 ans, jamais connue jusque là en Nouvelle-Calédonie ; une ère dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui encore et qui assure au pays une stabilité dont nous avons impérieusement besoin.

Il est utile de rappeler en effet que jusqu’à l’Accord de Nouméa en 1998, qui a finalisé notre organisation actuelle, la Nouvelle-Calédonie a connu pas moins de douze statuts différents ; douze statuts témoins du mouvement d’allers/retours entre autonomie et assimilation imprimé par la métropole à une terre du bout du monde pourtant profondément marquée par des caractères tout à fait spécifiques et différents de ceux de l’Hexagone.

On peut affirmer ainsi que c’est bien l’acte posé en juin 1988, après la tentative avortée de Nainville-les-Roches en juillet 1983 où les éléments de ce processus de conciliation des parties étaient pourtant déjà rassemblés, qui a fait sortir la Nouvelle-Calédonie de son impasse statutaire.
On peut affirmer avec certitude que ce sont bien les Accords de Matignon et d’Oudinot qui ont été l’expression du basculement d’une logique d’opposition et d’affrontement vers un esprit de paix et de construction commune.

Un esprit qui a prévalu à partir de là et qui a trouvé sa pleine expression en mai 1998 avec la signature de l’Accord de Nouméa et son approbation par 72% des Calédoniens dans les mois qui ont suivi, en novembre 1998.

Le second élément à pointer est que cette stabilité institutionnelle ne dure que parce que la Nouvelle-Calédonie a été dotée au travers de ces deux textes, spécialement de l’Accord de Nouméa traduit juridiquement par la Loi organique du 19 mars 1999, d’une organisation adaptée à son identité propre ;

que parce qu’un modèle original, « fortement dérogatoire » disent les juristes, a su être inventé pour définir un partage de souveraineté avec la France,
le modèle d’une entité juridique sui generis
ü faisant une large place à l’identité kanak, celle du peuple autochtone, longtemps niée, sans exclusion des autres,
ü prenant en compte la poursuite d’un rééquilibrage économique et social du pays, notamment par l’application de la notion d’emploi local,
ü et établissant une citoyenneté calédonienne au sein de la nationalité française, une citoyenneté traduisant la réalité d’un destin commun à ceux dont les racines sont en Nouvelle-Calédonie ou qui y vivent durablement.

Force est de constater que, si le chemin tracé il y a vingt ans et réaffirmé en 1998 a été et continue d’être difficile, si le rythme de mise en œuvre de cette construction n’a pas été constant, si on s’est heurté à des résistances, à des crispations de part et d’autre, chacun des trois piliers de ces accords a été bel et bien été édifié et conforté :

1) La reconnaissance de l’identité kanak s’est effectivement matérialisée dans l’organisation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie, notamment en précisant le statut coutumier et ses rapports avec le statut civil de droit commun ; le Sénat Coutumier et les Conseils Coutumiers ont été créés, le procès-verbal de palabre, devenu acte coutumier, acquiert désormais une force juridique indéniable, les gendarmes assumant le rôle de syndic des affaires autochtones seront remplacés par les Officiers publics coutumiers, la place de la coutume a été jugée centrale et le rôle des autorités coutumières accru, la valorisation du patrimoine kanak a été mise en œuvre -le Centre Culturel Tjibaou en étant le lieu emblématique- et l’apprentissage des langues kanak a été introduit à l’école, soutenu par la création d’une Académie des langues kanak.

Le chantier des signes identitaires, que nous avons ouvert il y a quelques mois pour doter la Nouvelle-Calédonie, aux côtés des symboles nationaux, d’éléments de reconnaissance spécifiques -drapeau, hymne, devise- s’inscrit pleinement dans cette logique ;

2) Le rééquilibrage entre les trois provinces, objectif majeur s’inscrivant dans la durée, chantier complexe nécessitant une absolue constance et des moyens substantiels, ce rééquilibrage économique et social est en cours.
L’élément aujourd’hui déterminant, qui vient donner toute sa cohérence à ce qui a été fait jusqu’ici en termes d’infrastructures publiques, d’équipements de santé, d’éducation, de politique sociale, de formation, c’est la réalisation effective de ce que l’on appelle en Calédonie « l’Usine du Nord ».
D’ici à 2011, la société Koniambo Nickel SAS va réaliser dans le secteur de Koné un investissement colossal de 4,5 milliards de dollars US avec un actionnariat majoritaire de la Province Nord, pour plus de 2500 emplois directs et indirects crées.


Et, ce sont des emplois qui vont donner à la population du Nord la possibilité de vivre et de travailler dans sa région.

C’est un pas considérable en termes de rééquilibrage spatial, qui renforce la notion d’équilibre politique à l’origine de la provincialisation justement instaurée par les Accords de Matignon en 1988 : la gestion de la Province Nord par des élus indépendantistes va pouvoir s’exercer maintenant dans la plénitude que confère une certaine sécurité financière.
Parallèlement, le pays apporte son soutien à la Province des Iles Loyauté dans la mise en œuvre d’un positionnement touristique de haut niveau, pourvoyeur là aussi de valeur ajoutée et d’emplois.

Par ailleurs, en Province Sud, l’Usine hydrométallurgique d’extraction et de traitement du nickel dont le chantier s’achève actuellement à Goro, amène un débat sur le développement durable de par son projet de grand tuyau de rejet d’effluents dans le lagon face à celui de l’inscription de notre récif corallien au patrimoine mondial de l’UNESCO.


Un autre élément important est que le rééquilibrage spatial s’est accompagné, particulièrement ces dernières années, de politiques sociales volontaristes destinées à réduire les disparités importantes de niveaux de vie qui marquent toujours la société calédonienne par une répartition plus équitable des richesses locales.
La hausse du salaire minimum garanti, la réévaluation et l’extension des bourses de formation professionnelle, la création en 2005 de l’allocation familiale de solidarité dont bénéficient aujourd’hui 13 000 enfants calédoniens au sein des foyers les plus défavorisés, la refonte du barème de l’impôt sur le revenu pour soulager les classes moyennes et la modération des prélèvements obligatoires, toutes ces mesures adoptées s’inscrivent dans cet objectif de rééquilibrage social . Même si, bien sur, beaucoup reste encore à faire ;

3) enfin, troisième pilier, la citoyenneté calédonienne a trouvé sa définition à travers la restriction du corps électoral pour les élections aux institutions du pays désormais inscrite dans la Constitution française par adoption du Parlement réuni en Congrès à Versailles le 23 février 2007.

Cet acte fort, correspondant à un engagement pris par l’Etat français, et tenu, est venu l’année dernière apporter tout son sens à la notion d’équilibre politique entre les citoyens du pays, un équilibre au fondement de l’Accord de Nouméa.

Je rappelle seulement qu’il n’a pas eu l’assentiment de quelques groupes représentés dans notre gouvernement.

Il est relayé sur place par le chantier des signes identitaires que nous avons ouvert il y a quelques mois pour doter la Nouvelle Calédonie, aux côtés des symboles nationaux, d’éléments de reconnaissance spécifiques – drapeau, nom, devis, hymne et les graphismes sur les billets de banque- et qui s’inscrit pleinement dans cette logique citoyenne.

Or, c’est bien à cette stabilité institutionnelle, à la confiance que cette stabilité politique a restaurée et installée progressivement dans la population, mais aussi dans les Etats et chez les grands voisins du Pacifique, auprès des investisseurs nationaux et internationaux, que la Nouvelle-Calédonie doit la prospérité économique qu’elle connaît depuis plus d’une décennie maintenant.
Le taux de croissance de l’année 2007, à plus de 5%, illustre bien cette réussite, un développement accroché à l’essor du secteur de l’industrie métallurgique, aux cours élevés du nickel et aux ressources qu’ils dégagent mais également généré par le fort investissement des entreprises et la consommation des ménages.
Un développement économique, une situation de l’emploi, qui peuvent nous faire dire que la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui va plutôt bien.

Ce bon fonctionnement sera encore consolidé et harmonisé par l’élaboration en cours, et la mise en œuvre du schéma d’aménagement et de développement du pays comme l’a prévu l’article 211 de la loi organique du 19 mars 1999.

Le troisième et dernier élément, plus brièvement, avant de conclure est que les accords de Matignon et l’Accord de Nouméa constituent bien la feuille de route quotidienne du Gouvernement actuel de la Nouvelle-Calédonie ; dans leur esprit et dans leur lettre, dans les valeurs, aussi, qu’ils ont su et continuent de mobiliser.
Il s’agit donc très concrètement pour nous d’un état d’esprit et d’une méthode de gouvernance qui informe et associe tous les membres du gouvernement de tout dossier, qui décide au consensus et oblige au contreseing.

Ce consensus actif est la condition du fonctionnement effectif de notre institution. Il n’est pas facile à établir, il n’est pas obligatoirement naturel, mais il est la garantie contre le repli sur soi, le statut quo et le retour en arrière. Elle oblige à garder le cap de l’intérêt général dans l’action que nous conduisons.

Ces valeurs, ce sont aussi celles de la responsabilité et de l’engagement au service de son propre devenir : l’Accord de Nouméa de 1998 et la Loi organique de mars 1999, qui consacrent le principe de libre administration des provinces, confèrent dans le même temps à la Nouvelle-Calédonie des fonctions d’unité et de régulation autour de trois axes : les moyens financiers, les normes et les missions communes à l’ensemble du pays.

Le Gouvernement exerce pleinement ses prérogatives en la matière en proposant au vote du Congrès des « lois du pays » qui structurent la vie calédonienne, organisent les évolutions de la société et orientent le développement économique.
Dans la pratique, le quotidien des Calédoniens est ainsi marqué par les décisions et les actions du Gouvernement à tous niveaux : formation professionnelle, fiscalité des particuliers et des entreprises, transport aérien et routier, système sanitaire et protection sociale, lutte contre la vie chère, organisation du dialogue entre partenaires sociaux, protection de l’environnement, coopération régionale, ainsi de suite…

Ces valeurs, enfin, ce sont celles du respect, le respect de nos différences, le respect de notre histoire, mais aussi le respect de ce qui nous unit, l’amour de cette terre de Nouvelle-Calédonie et l’avenir de nos enfants.

Cette exigence du respect et de la dignité s’inscrit aussi sur le sentier de pays et de paternité universelles tracé par Aimé Césaire, le grand poète et combattant de la liberté qui vient de nous quitter et à qui je rends hommage à cette occasion par ses propres mots en le citant : « Ce n’est pas vrai que nous n’avons rien d’autre à faire que d’être des parasites dans ce monde… Aucune race n’a le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force, et il y a de la place pour tous au rendez-vous de la victoire ».

Et, laissez-moi conclure en réaffirmant que par le processus de réconciliation engagé, d’abord par les Accords de Matignon en 1988, puis par l’Accord de Nouméa il y a dix ans, ne doit pas être interrompu.
Il doit pouvoir aller à son terme, en ayant fait aboutir l’ensemble des ses éléments constitutifs, parmi lesquels, outre les trois « piliers » déjà développés, la question du transfert des compétences définis par Monsieur le Premier Ministre François FILLON très récemment encore comme « le moteur » de l’Accord de Nouméa.
En leur temps, les accords ont fait le tour du monde et ont été l’objet de félicitations par leur caractère d’exemplarité.

Ce processus, ce pacte, qui consacre l’existence d’un destin commun à tous les Calédoniens, comporte des concessions mutuelles qui n’allaient pas de soi et pour lesquelles le sang a été versé.

Ce pacte est cependant toujours fragile, parce qu’il repose sur la confiance et que la confiance ne se décrète pas, elle se vit et se conforte au jour le jour à travers des faits, des actes.

Ce pacte est celui du pari sur l’intelligence humaine, un pari toujours à renouveler.


Je vous remercie.