Déclaration du groupe FLNKS du mercredi 18 août 2010
Douze ans après la signature de l’accord de Nouméa, nous allons examiner le projet de loi du pays sur les trois premiers signes identitaires (hymne, graphisme des billets de banque et devise) qui ont fait l’objet d’un large consensus au sein du comité de pilotage des signes identitaires crée en avril 2007.
Au nom du groupe FLNKS, je voudrais à ce titre remercier Madame Marie Noëlle THEMEREAU, présidente du gouvernement entre 2004 et 2007, Monsieur Harold MARTIN président de 2007 à 2009, Monsieur Philippe GOMES pour la finalisation du dossier depuis l’an dernier ainsi que madame Dewé GORODEY, présidente du comité de pilotage, pour leur implication active dans l’élaboration de ces trois premiers symboles officiels de notre pays. Nos remerciements vont aussi aux auteurs retenus par les différents concours et notamment la chorale « Mélodia » et bien sur aux membres du Comité de Pilotage.
Douze ans après la signature de l’accord de Nouméa, onze ans après l’adoption par le parlement de la loi organique, ce temps peut paraître long pour adopter les trois premiers symboles du pays, mais peut être cela était-il nécessaire pour que les esprits murissent et que les mentalités évoluent avant de trouver le consensus minimum sur ces signes qui comme l’indique l’accord de Nouméa « devront être recherchés en commun, pour exprimer l’identité kanak et le futur partagé entre tous ».
Nous sommes nécessairement dans un « temps long » lorsqu’il s’agit de créer les conditions pour faire émerger une conscience commune pouvant à terme évoluer vers la conscience d’appartenir à un peuple en devenir socle d’une éventuelle nation de demain. Le défi lancé par les accords de Matignon et Nouméa est un défi lancé à chaque portion de peuple réuni depuis 157 ans sur cette terre mélanésienne. Car au-delà de la dénomination que nous oblige la constitution française de nous appeler « communauté », chacun d’entre nous appartient originellement à un peuple.
Peuple mélanésien, présent dans cette région depuis plus de 4000 ans, habitant cet arc du même nom depuis l’archipel des Moluques, l’archipel des Flores et Timor, à la grande Papouasie Nouvelle Guinée, les Salomon, Vanuatu, les Fidji et la Nouvelle Calédonie, descendant de ce grand peuple austronésien qui s’est divisé en trois groupes que les européens ont appelés : mélanésiens, micronésiens et polynésiens, peuple qui s’est diffusé et répandu dans l’immensité du Pacifique.
Peuple français et européen venu de 18.000 km au moment de la grande expansion coloniale et missionnaire avec ses administrateurs, religieux et pasteurs, colons, bagnards ou tout simplement aventuriers, tous venus comme on disait « apporter la civilisation » aux peuplades considérés comme sauvages. Peuple asiatique enfin, arrivé sur nos rivages avec les cohortes de travailleurs engagés.
Nous avons tous notre propre histoire, nos croyances, nos cultures et nous avons été malaxés, broyés dans le moule colonial pour donner en 2010, cette diversité que connait notre pays, véritable kaléidoscope aux couleurs de l’arc en ciel, couleurs revêtus par nos enfants, fruits d’un métissage vieux de 157 ans.
Le défi que nous nous sommes donnés est de faire de ces portions de peuple, rassemblés, sur cet archipel mélanésien de l’Océanie occidentale, par une histoire, celle de la colonisation française, un ensemble viable et responsable dont l’ambition pour certains est l’indépendance, pour d’autres un état associé, pour d’autre encore le degré le plus achevé de l’autonomie. Mais en attendant de parvenir à la croisée de ces trois voies, l’ambition est bien de constituer une entité propre capable de décider ensemble quelle voie choisir, quel destin assumer pour ses enfants, quelle nouvelle relation apaisée à trouver avec l’autorité de tutelle qu’est la France.
La France est loin, elle demeure physiquement dans ses frontières européennes, la Nouvelle Calédonie est en Océanie, elle porte dans sa chair les marques de cette vieille civilisation mélanésienne, plus vielle que la civilisation gallo romaine ou franque dont les lointains descendants l’ont colonisée. Parce que notre pays est le pays du non dit et que nous sommes sous tutelle, on n’utilise pas ou alors très pudiquement le terme de civilisation, on va parler de culture et d’identité. A la place de Mélanésie on va parler de kanak, terme péjoratif puis revendiqué librement, dérivé de la langue Hawaïenne (Iles sandwich), les anciens hawaïens vont ainsi interpeller les marins de James Cook, pour qu’ils déclinent leur identité qui êtes vous ? Des esprits ou des « kanaka » ou « tagata » autre mot polynésien, c'est-à-dire « êtes-vous des hommes, des vrais hommes » ? Des « Dokamo »comme dirait la langue Adjie, ou « te aboru » en Na Drubea.
Comme indicateur de la route à suivre, semblable à l’étoile du berger, ces symboles que nous examinons ce jour porteront l’histoire de ces peuples auxquels nous appartenons, peuples posés cote à cote mais aussi engagés dans un processus de fusion appelé à donner naissance à quelque chose de nouveau que nous connaitront peut être pas de notre vivant. Cette histoire nouvelle en marche se fait ici en Mélanésie, c’est le futur partagé et c’est l’identité Kanak qui s’expriment. Mais comme nous sommes pour le moment sous souveraineté française, ainsi que le précise la loi organique, ces symboles, déterminés librement permettront de marquer la personnalité de notre pays aux cotés de l’emblème national et des signes de la république.
Avec une histoire autant chargée que la nôtre, la définition de nos symboles identitaires ne peut que prendre du temps. Leur lente émergence ne peut s’enfanter que dans le sacrifice et le renoncement. Regardez ce qui ‘s’est passé pour la levée du drapeau kanak au coté du drapeau français. Cette levée était pour les uns un défi, un signe de guerre et de mort, pour les autres un immense espoir de reconnaissance, un signe de vie, un signe de paix. Où est le juste milieu ? Or il nous faut trouver le juste milieu car nous sommes des vivants et nous préférons comme tout être humain plus tôt la vie que la mort et la destruction.
Nous devons constamment chercher à nous comprendre, à faire un pas en direction de l’autre même si nous ne sommes pas tous d’accord, l’important c’est la volonté de se surpasser et d’avancer. A part les graphismes sur les billets de banque, nous avons des choses à dire et redire sur la devise et l’hymne.
Terre de partage, terre de parole, oui mais qu’avons-nous encore à partager nous les kanak, la colonisation nous avait pratiquement tout enlevé ! Que peut signifier le terme de « partage » alors que le modèle occidental nous impose une course effrénée à l’accumulation des richesses et du profit érigée en règle de vie ? Terre de parole, quelle est la valeur de la parole dans un monde ou tout ce qui n’est pas écrit est vaine, où l’on passe son temps à chercher comment tromper l’autre ? C’est pourquoi, cette devise ne doit pas rester un vœu pieu, elle doit être la « parole » qui agit et engage, une forme de « parole performative » à l’instar du terme utilisé en théologie sacramentaire. L’hymne, il ne dit pas d’où l’on vient, rien sur nos itinéraires, alors comment savoir où l’on va si l’on ne dit pas d’où l’on vient. Dans la musique, il faut la chercher l’identité kanak !
Félicitons nous et réjouissons-nous cependant d’être parvenus à ce stade, il s’agit encore d’un grand pas de franchi sur la voie de notre émancipation, certes des améliorations sont toujours possibles. Ainsi, comme pour le drapeau, nous avons toujours l’objectif de faire partager à tous le bien fondé du choix du drapeau kanak comme drapeau du pays. Mais c’est par la discussion, le dialogue et la concertation que nous arriverons tous à nous rallier aux symboles forts de l’identité calédonienne, prélude à une identité propre apte à s’autodéterminer librement dans un proche avenir.
Le chef du groupe FLNKS
ROCH WAMYTAN