lundi 4 octobre 2010

Un comité de pilotage pour la protection des savoirs traditionnels autochtones...

Le gouvernement du pays, sous la houlette de Déwé Gorodey, a mis en place un comité de pilotage pour reglementer la protection des savoirs traditionnels et à la protection des droits intellectuels autochtones. Un texte servant de base de travail a été pondu. Madoy qui s'est procuré le texte publie ici le préambule...

"PREAMBULE

Considérant que la Déclaration universelle des droits de l'homme proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit et que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés, sans distinction aucune notamment de race, de couleur ou d'origine nationale;
Reconnaissant que ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne humaine;
Reconnaissant que l'idéal de l'être humain libre, jouissant des libertés civiles et politiques et libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits culturels aussi bien que de ses droits civils et politiques, économiques et sociaux, sont créées;
Considérant, que la convention sur la protection de la diversité des expressions culturelles proclame, que « la diversité culturelle qui constitue un patrimoine commun de l’humanité, est un ressort fondamental du développement durable des communautés, des peuples et des nations; que la diversité culturelle est essentielle à la pleine réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales; que la culture prend diverses formes dans le temps et dans l’espace et que cette diversité s’incarne dans l’originalité et la pluralité des identités ainsi que dans les expressions culturelles des peuples et des sociétés qui constituent l’humanité ;
Reconnaissant l’importance des savoirs traditionnels en tant que source de richesse immatérielle et matérielle, et en particulier des systèmes de connaissances des peuples autochtones, et leur contribution positive au développement durable, ainsi que la nécessité d’assurer leur protection et promotion de façon adéquate ;
Considérant que les activités, biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale »;
Considérant que ces activités, biens et services culturels ont tout autant une fonction sociale dans les cultures autochtones, qui valorisent les liens sociaux entre les hommes et les liens culturels avec l'environnement ;
Considérant qu'il incombe à l'Etat, en conformité avec les engagements contenus aux articles 10 (c) et 8 (j) de la Convention sur la diversité biologique de 1992, de protéger et encourager « l’usage coutumier des ressources biologiques conformément aux pratiques culturelles compatibles avec les impératifs de leur conservation ou de leur utilisation durable »; que la même convention proclame, en outre, que « chaque partie contractante respecte, préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique et en favorise l’application sur une plus grande échelle, avec l’accord et la participation des dépositaires de ces connaissances, innovations et pratiques et encourage le partage équitable des avantages découlant de l’utilisation de ces connaissances, innovations et pratiques »;
Considérant que, dans le même esprit, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones affirme, en son article 31, que « Les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles ainsi que les manifestations de leurs sciences, techniques et culture, y compris leurs ressources humaines et génétiques, leurs semences, leur pharmacopée, leur connaissance des propriétés de la faune et de la flore, leurs traditions orales, leur littérature, leur esthétique, leurs sports et leurs jeux traditionnels et leurs arts visuels et du spectacle. Ils ont également le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective sur ce patrimoine culturel, sur ce savoir traditionnel et ses expressions culturelles traditionnelles » ;
Reconnaissant que l'identité kanak, c'est-à-dire la personnalité-même du « peuple-racine », demeure fondée, encore de nos jours, sur un lien particulier à la terre et aux étendues marines, qui s'exprime dans un rapport spirituel spécifique avec une vallée, une colline, la mer, une embouchure de rivière, ainsi que le rappelle le préambule de l'Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 (l'Accord de Nouméa) ; que c'est à ces éléments du cadre naturel que l'homme s'identifie lui-même en considérant qu'il en est issu et que ses pères y vivent ; que tel est le sens profond que revêt l'affirmation que l'identité du Kanak se fonde un « lien particulier à la terre » ;
Reconnaissant que ce lien spécifique à la terre, conçu comme un lien mythique avec les ancêtres, s'exprime dans les normes et principes du Droit coutumier qui forment un ensemble cohérent dans la définition de ce que la Constitution du 4 octobre 1958, en son article 77, qualifie de « statut coutumier kanak » ; que participent de ce lien spécifique à la terre les savoirs traditionnels et expressions de la culture kanak, ainsi que les savoirs traditionnels associés à la biodiversité, régis par des règles qui dans la conception autochtone ne sont qu'un élément du statut juridique dérogatoire des terres coutumières d'ores et déjà garanti ;
Reconnaissant que ces savoirs traditionnels qui expriment, tout autant, le lien de cette culture à la nature que le lien des clans à leurs ancêtres fondateurs, voire à des totem pris dans la nature (animaux, plantes, éléments du paysage, etc.) ne peuvent être véritablement garantis que dans le respect des normes et principes coutumiers qui fondent la survie de cette société et de sa culture ; qu'il convient, en conséquence, de permettre et d'organiser l'expression des principes coutumiers se rapportant aux savoirs traditionnels, ceux-ci étant appréhendés comme des éléments constitutifs du statut des terres, en ce qu'ils participent comme les terres à la définition de l'identité de l'homme kanak, la terre ne désignant pas un bien, mais un capital social et intellectuel dans la conception autochtone ;
Considérant que l'Accord de Nouméa reconnaît la légitimité historique du Peuple Kanak, seul peuple autochtone de la Nouvelle-Calédonie, engagé dans l'élaboration d'un destin commun avec d'autres groupes de population venus d'ailleurs ; que la construction de ce vivre ensemble suppose la reconnaissance préalable de l'identité kanak, qui doit être affirmée et protégée de manière spécifique ; qu'il y est précisé, notamment, que « la pleine reconnaissance de l'identité kanak conduit à préciser le statut coutumier, à prévoir la place des structures coutumières dans les institutions, à protéger et valoriser le patrimoine culturel kanak »;
Considérant que l'organisation, par une loi du pays, de la prise en compte de la conception coutumière du rapport de l'homme Kanak à la nature, qu'expriment les savoirs traditionnels, est le moyen de tisser des liens avec les autres composantes culturelles du Pays, elles aussi concernées par le rayonnement social et politique de l'identité kanak ;
Considérant que l'accord de Nouméa précise dans le document d'orientation qui complète son préambule, au titre de l'identité kanak, que « l'organisation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie doit mieux prendre en compte l'identité kanak » ; qu'il rappelle le rôle joué, dans la préservation et le développement de cette identité, tant par le statut civil particulier, rebaptisé « statut coutumier » (point 1.1), que par le Droit coutumier et les structures coutumières (point 1.2) ; qu'il énonce au titre du patrimoine culturel que « les noms kanak des lieux seront recensés et rétablis. Les sites sacrés selon la tradition kanak seront identifiés et juridiquement protégés, selon les règles applicables en matière de monuments historiques » (point 1.3.1); que « l'Etat favorisera le retour en Nouvelle-Calédonie d'objets culturels kanak qui se trouvent dans des musées ou des collections, en France métropolitaine ou dans d'autres pays. Les moyens juridiques dont dispose l'Etat pour la protection du patrimoine national seront mis en oeuvre à cette fin. Des conventions seront passées avec ces institutions pour le retour de ces objets ou leur mise en valeur » (1.3.2) ; qu'il précise encore (au titre du développement culturel) que « la culture kanak doit être valorisée dans les formations artistiques et dans les médias. Les droits des auteurs doivent être effectivement protégés » (1.3.4) ; qu'enfin « sur l'ensemble de ces questions relatives au patrimoine culturel, l'Etat proposera à la Nouvelle-Calédonie de conclure un accord particulier » (1.3.5) ; qu'aux termes de cet « accord particulier sur le développement culturel de la Nouvelle-Calédonie, signé le 22 janvier 2002 entre l'Etat, la Nouvelle-Calédonie, et ses trois provinces : « l'Etat s'engage à soutenir la mise en oeuvre, par les collectivités publiques de Nouvelle-Calédonie, d'une politique spécifique en matière de protection, de conservation et de valorisation du patrimoine historique, artistique, archéologique, ethnologique » ; que dans ce cadre, l'Etat s'engage à l'égard de la Nouvelle-Calédonie à « protéger les savoirs traditionnels et les expressions de la culture kanak » (point 1.1, dernier §) ;
Considérant que les savoirs traditionnels participant de l'identité kanak et du patrimoine culturel du Peuple kanak, la présente loi du pays ne fait que traduire juridiquement les engagements préalablement souscrits ;
Considérant, en second lieu que si, comme l'affirme le même document d'orientation, « l'identité de chaque Kanak se définit d'abord en référence à une terre », étant rappelé que la Nouvelle-Calédonie est d'ores et déjà compétente pour légiférer dans le domaine du statut des terres, comme dans celui du statut personnel, c'est-à-dire le droit coutumier qui régit toutes les relations de nature civile entre citoyens de statut coutumier kanak, la Nouvelle-Calédonie tient de l'ensemble de ces dispositions la pleine compétence pour légiférer en vue de préciser le droit applicable aux savoirs traditionnels, et pour poser, par voie de conséquence, les fondements juridiques d'une « propriété » intellectuelle autochtone, ancrée dans les principes coutumiers ;
Considérant que cette compétence pour légiférer en matière de savoir traditionnels s'inscrit dans le cadre de celle d'ores et déjà dévolue à la Nouvelle-Calédonie pour définir le statut des terres coutumières ; qu'elle participe aussi de la compétence d'ores et déjà reconnue à la Nouvelle-Calédonie pour légiférer en matière de statut coutumier kanak ;
Considérant que les terres, les structures coutumières, le statut coutumier kanak, et les savoirs traditionnels constituent, de manière indissociable, les piliers sur lesquels repose l'identité kanak ; qu'ils ont en commun au regard des normes coutumières kanak d'induire des obligations et d'exclure toute possibilité de renonciation, d'aliénation, ou de privation des droits qui en découlent ;
Considérant que la reconnaissance de l'identité kanak commande de garantir les droits du Peuple Kanak sur sa propriété intellectuelle traditionnelle et ses expressions culturelles, dans l'esprit qui a guidé les travaux de la Commission du Pacifique Sud dans l'élaboration de sa « loi type 2002 pour l'Océanie », qui reconnaît que « les communautés traditionnelles sont les propriétaires, les dépositaires et les gardiens des savoirs traditionnels et des expressions de la culture, les titulaires des droits sur ces savoirs et les personnes responsables au premier chef des décisions concernant leur utilisation »; que rien dans le dispositif de droit commun de protection de la propriété intellectuelle ne permet de satisfaire à ces objectifs ;
Considérant que la conception kanak des rapports sociaux est fondée non sur la reconnaissance de droits mais sur celle de devoirs, et le partage de devoirs, qui poursuivent un objectif de cohésion sociale seul garant de l'harmonie que cette civilisation définit comme valeur suprême ; que les savoirs traditionnels participent de cette quête d'harmonie dans le lien qui unit les hommes à la nature, de la même façon que les règles coutumières qui régissent les rapports entre les hommes et les clans, visent à préserver l'harmonie entre les hommes en posant des interdits et l'obligation de préserver certains savoirs dont découle l'identité de certains clans ;
Considérant que, dans une civilisation qualifiée de « civilisation du végétal », l'atteinte à la terre, à l'environnement, et à tous les savoirs qui directement ou indirectement se relient à cette terre, perçue comme la propriété d'ancêtres dont l'existence se poursuit parmi les vivants, constitue une atteinte non pas à un droit mais à l'existence même de cette société et aux valeurs qu'elle considère comme intangibles pour sa survie, et même comme sacrées;
Considérant enfin, que la reconnaissance des us et coutumes sur le domaine foncier, dont participe l'organisation de l'expression du droit coutumier en ce qui concerne les savoirs traditionnels, doit s'accompagner de la reconnaissance des droits intellectuels sur cette autre part indissociable du « foncier » que sont les étendues marines qui, selon le droit coutumier kanak, s'analysent comme des terres recouvertes d'eau, et dont le statut, pour cette raison, est assimilable à celui de la terre ferme;
Toutefois, cette reconnaissance des droits intellectuels en lien avec les étendues marines, préalable indispensable à l'organisation d'un régime d'accès et de partage équitable sur les ressources biologiques situées en milieu marin, ne saurait remettre en cause les règles relatives au domaine public maritime ;
Considérant que la reconnaissance de l'identité kanak commande, tout particulièrement, de garantir le respect des savoirs traditionnels associés à la biodiversité, et leur conservation, comme préalable à un partage équitable des avantages résultant de leur valorisation ;
Considérant que l'efficacité de cette réglementation impose de protéger tout à la fois les savoirs biologiques traditionnels qui émanent de la culture autochtone kanak que ceux qui émanent de la culture des autres groupes culturels ou nations qui peuplent la Nouvelle-Calédonie ;
Reconnaissant la dette des sociétés contemporaines à l'action protectrice exercée par les peuples autochtones et les communautés locales de par le monde, et par la société kanak en particulier, sans laquelle la richesse en ressources génétiques et en biodiversité n'aurait pu être sauvegardée, en conséquence de quoi, il apparaît légitime de sauvegarder et de protéger les droits intellectuels sur les « savoirs traditionnels associés à la biodiversité », et plus largement de sauvegarder et de protéger les « savoirs traditionnels et expressions de la culture kanak » qui expriment le lien indéfectible entre culture et nature, et partant toutes les expressions culturelles d'une civilisation construite sur le lien mythique et physique de l'homme à la terre qui l'a vu naître ;
Considérant que cette protection conjointe de la culture et du lien de l'homme à la terre et des savoirs traditionnels, doit se combiner avec l'encouragement de l'activité créatrice, l'innovation et la reconnaissance de l'universalité de l'intelligence humaine par la promotion et la protection de la propriété intellectuelle sous toutes ses formes à travers le monde; qu'elle participe, à la fois, à la préservation de la biodiversité, et à la protection de la diversité culturelle ; que cet objectif de protection de la « socio-bio-diversité » ne peut se concevoir sans une garantie efficace contre les abus observés tant en matière de production culturelle (contrefaçon), qu'en matière de recherche sur le vivant (bio-piratage) ;

La présente loi contribue ainsi à réduire les distorsions et les entraves en ce qui concerne la recherche et le commerce international, tout en veillant à promouvoir une protection efficace des droits intellectuels autochtones et faire en sorte que les mesures et procédures visant à faire respecter ces droits intellectuels ne deviennent pas elles-mêmes des obstacles au commerce légitime.
Cette loi répond surtout à la nécessité, en application du préambule de l'Accord de Nouméa, d'organiser l'expression et la prise en compte du droit coutumier en posant les fondements d'un statut coutumier des savoirs traditionnels opposable à tous, tout en donnant corps à une conception autochtone d'un patrimoine commun bio-culturel qui englobe, sans distinction, la symbolique des paysages ou espaces sociaux (tertres, allées centrales des chefferies, etc.), les espèces vivantes, les restes humains, les savoirs scientifiques, les objets d'art, et tout ce qui participe des liens qui unissent les hommes et les clans au sein de ce peuple, et qui réaffirme l'appartenance de ce peuple à sa terre ; qui affirme, enfin, que si les bienfaits liés à ce patrimoine peuvent être partagés dans certaines conditions, ce patrimoine ne pourra jamais être aliéné, car il n'est pas objet de propriété mais de responsabilité, la collectivité titulaire en étant seulement la gardienne. Ces spécificités imposent d'envisager un statut sui generis des droits intellectuels autochtones, sur la base de concepts déconnectés des catégories et notions du droit occidental pour refonder le développement sur les valeurs autochtones, alliant nature et identité, puisque l'identité kanak n'est en définitive, encore de nos jours, que l'expression d'un lien particulier des hommes à cette terre conçue, et pleinement vécue dans sa dimension mythique, comme le "sang des morts" (les ancêtres divinisés), ce que Jean-Marie Tjibaou exprimait en ces termes : "nos terres ne sont pas à vendre, elles sont l’unité de notre peuple. Elles sont l’univers que nous partageons avec nos dieux”.