samedi 19 février 2011

Crise politique ou crise institutionnelle ?

Cet article est écrit par Mathias Chauchat, professeur de droit public à l'Université de Nouvelle Calédonie, sur le blog du LARJE (Laboratoire de Recherches Juridique et Economique -https://webmail.province-sud.nc/exchweb/bin/redir.asp?URL=http://larje.univ-nc.nc/index.php?option=com_content%26view=article%26id=230:crise-politique-ou-crise-institutionnelle-%26catid=15:droit-de-la-nouvelle-caledonie%26Itemid=46), le vendredi, 18 Février 2011.
(photo ci-contre: les Nouvelles Calédoniennes)

L’article 121 de la loi organique précise que « lorsqu'un membre du gouvernement cesse d'exercer ses fonctions, le candidat suivant de la liste sur laquelle celui-ci avait été élu le remplace. Ce remplacement est notifié sans délai au président du congrès et au haut-commissaire, ainsi que, le cas échéant, au président de l'assemblée de province intéressée. Lorsqu'il ne peut plus être fait application de l'alinéa précédent, le gouvernement est démissionnaire de plein droit et il est procédé à l’élection d’un nouveau gouvernement dans un délai 15 jours ». L’équilibre politique prévu par l’Accord de Nouméa ne peut plus en effet être réuni. C’est alors au Congrès de se prononcer pour le rétablir.

Cette disposition ouvre d’ailleurs une possibilité de manœuvre à un parti, quand bien même il n‘aurait qu’un élu, qui souhaiterait recomposer le gouvernement. Il lui suffit de faire démissionner l’ensemble de ses colistiers et de leurs remplaçants éventuels. Cette opportunité s’est déjà présentée de multiples fois : le gouvernement Frogier 1 est ainsi tombé en 2002 du fait de la démission des élus Union calédonienne dénonçant les difficultés de la collégialité ; cette possibilité s’est à nouveau concrétisée en juin 2004, à l’initiative du Rassemblement cette fois, après l’élection du premier gouvernement Thémereau, qui avait bénéficié d’une voix supplémentaire au Congrès dans l’émotion des premiers instants et enfin en 2007 à la suite de la démission collective du gouvernement Martin 1 des élus de la liste unique indépendantiste, dont un bulletin avait été déclaré nul. C’est la voie choisie aujourd’hui, pour la 4ème fois, par l’Union calédonienne. On peut même avancer que la démission de toute une liste ne serait pas nécessaire. Si un parti dispose de 3 sièges au gouvernement et que deux récalcitrants accèdent à la structure gouvernementale, la composition politique du gouvernement serait déséquilibrée et l’article 121 devrait jouer. Toute autre interprétation serait directement contraire à l’esprit de la loi, en maintenant au gouvernement des opposants à leur propre liste et en encourageant les dissidences individuelles contre l’action collective.

La coutume constitutionnelle est sans appel, même si la perspective est amère pour un gouvernement dont le bilan est important, sinon même exceptionnel, en particulier sur les dossiers portés personnellement par le président du gouvernement, les transferts de compétences et les relations internationales du pays.

Le Congrès est appelé à se réunir le vendredi 25 février pour choisir le nombre des membres du gouvernement, entre 5 et 11. Ils se réuniront ensuite le jeudi 3 mars pour procéder à l’élection du gouvernement. Il reviendra au Haut-commissaire de réunir le gouvernement pour procéder à l’élection du président, à la majorité des membres, avec autant de tours que nécessaire.

Crise politique seulement ?
Dès l’élection du nouveau gouvernement au Congrès, la démission de Calédonie ensemble sera annoncée au Congrès. Cette démission est sans portée juridique, car le gouvernement n'est pas constitué. On ne peut pas démissionner préventivement d'une structure qui n'est pas encore constituée... Conformément à un avis du TANC n° 05/04 du 22 juin 2004, « eu égard à la nature spécifique et collégiale de cet organe, l'élection du nouveau gouvernement ne peut être considérée comme réalisée qu'à l'issue des trois étapes du processus électoral respectivement prévues aux articles 109, 110 et 115 de la loi organique », en clair à l’élection du président. Une disposition spéciale ajoutée en 2009 règle la question de l’élection du vice-président. Aucun contentieux contre la convocation du Haut commissaire ne pourra être envisagé, le TANC l’ayant jugé en 2007. On ne peut que contester l’ensemble du processus devant le Conseil d’Etat.

Qui assure l’expédition des affaires courantes ?
La loi organique dit à l'article 121 que "le gouvernement démissionnaire assure l'expédition des affaires courantes jusqu'à l'élection d'un nouveau gouvernement". Le terme « élection du gouvernement » se lit comme l’achèvement du processus d’élection du président et du vice-président. Jusqu’à cette élection, Philippe Gomès est aux commandes de l’institution, qui fonctionne comme avant, même si les trois membres démissionnaires n’y participent plus. Personne ne rejoint son assemblée de province et rien ne change. Il faut toujours 6 voix pour adopter un texte. Après l’élection du président et du vice-président, le nouveau gouvernement, par hypothèse démissionnaire de plein droit, est chargé de l’expédition des affaires courantes. Mais les titulaires du pouvoir exécutif auront changé. Calédonie ensemble dispose de nombreuses possibilités de ne pas être marginalisé, en particulier le choix des secteurs et l’usage du contreseing. Ces garanties sont offertes à tous.

L’hypothèse de la dissolution
Un parti ne peut créer le vide institutionnel. Mais il peut faire chuter le gouvernement, et le nombre de fois n’est pas limité. C’est une question qui se règlera devant l’opinion. L’article 172 de la loi organique dispose simplement que « lorsque le fonctionnement d'une assemblée de province se révèle impossible, l'assemblée peut être dissoute par décret motivé en conseil des ministres après avis du président du congrès, des présidents des assemblées de province ainsi que du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ». Il faut donc la signature du Président de la République et du Premier ministre. C’est un acte extrême. Le Gouvernement français est lié par les termes de la loi organique. Il sera difficile, s’il existe une majorité au gouvernement comme au Congrès, de prétexter de l’impossible fonctionnement de ce dernier.


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Vu dans les Nouvelles Calédoniennes

La décision de l’UC entre les mains du FLNKS
Mar 15 Fév 201109:41

Le grand jeu du « chaque nom compte » est ouvert.
Au lendemain de la décision fracassante de l’Union calédonienne de faire chuter le gouvernement sur la question du drapeau kanak, l’agitation a gagné les coulisses indépendantistes. Le président du parti, Charles Pidjot, est désormais tenu à un but légal pour que son voeu s’accomplisse : rassembler au moins douze candidats démissionnaires sur les quatorze représentants inscrits sur la liste pour l’élection du gouvernement au Congrès en mai 2009. Les trois premiers élus - Jean- Louis d’Anglebermes, Pierre Ngaiohni et Yann Devillers - ont d’ores et déjà apposé samedi, en comité directeur à Thio, leur signature en ce sens. Mais cette liste n’était pas placée sous la seule étiquette Union calédonienne, mais bien du FLNKS. Le temps est aux tractations. Combien de personnalités ont déjà assuré de leur démission ? «Un certain nombre, s’amusait hier soir Gérard Reignier, secrétaire général de l’UC, qui prévient : Ce sera bouclé pour la fin de semaine.» L’assurance des quatorze candidats vis-à-vis de la démarche n’est donc pas totalement acquise pour l’instant, mais «nous sommes en train de faire le travail pour cela».
« On a appris l’annonce de Charles Pidjot par la presse. »
Attitude. Ce travail prend un relief particulier aujourd’hui, avec la réunion cet après-midi du bureau du FLNKS. «On doit discuter, l’UC doit nous convaincre", note le RDO Aloïsio Sako, en cinquième position sur la liste. «Cette liste était estampillée FLNKS, l’instance suprême reste donc toujours le bureau politique du front», précise-t-il. La même réflexion anime les quatre candidats affiliés ou sympathisants Palika, actuellement au centre des attentions : «Sylvain Boiguivie, Jean-Marie Ayawa, Patrick Robert, Sylvain Pabouty. On attend une discussion avec l’ensemble du FLNKS. Puis on adoptera une attitude », souligne le dernier concerné, pointant sur son agenda la rencontre de ce mardi. Une autre personnalité de la liste, située à la quatrième place, la LKS Christiane Gambey, ne laisse, elle, pas trop de suspense a priori sur son intention : «le comité directeur a validé la décision samedi». Point. Christiane Gambey est, il est vrai, désormais militante à l’Union calédonienne et chargée de mission auprès du vice-président du gouvernement Pierre Ngaiohni, UC également.

Unilatérale. Les échanges du jour en bureau politique du Front auront du poids. «Ça va être chaud !», claque un proche du FLNKS. Notamment pour une raison : «On a appris l’annonce de Charles Pidjot par la presse.» Un autre motif de mécontentement anime certains. Le drapeau, et plus largement les signes identitaires, sont des sujets relevant des prérogatives de la coalition. Or, l’initiative de l’UC, décrite par des politiques comme «unilatérale», a été prise «sans concertation». En clair, la réunion de cet après-midi est à double détente : les positions choisies au terme des discussions accéléreront ou non la chute du gouvernement, mais auront aussi une influence sur les liens déjà distendus au sein du FLNKS. Les responsables de l’UC semblaient analyser hier les conséquences d’une éventuelle dissolution de l’exécutif, suite à la contreattaque de Philippe Gomès, demandant un retour aux urnes. L’Union calédonienne a annoncé vouloir s’exprimer, demain, mercredi, devant les médias.

Y. M. des Nouvelles Calédoniennes...