A la veille du 19ème sommet des Pays de la Mélanésie, Naku press partage avec vous la teneur de ce billet proposé par une historienne. On peut ne pas partager l'angle du billet mais des éléments d'analyse sont toujours intéressants à prendre... Kanaky est bien dans la zone concernée par cette analyse .... A méditer.. Bonne lecture.
On néglige le Pacifique, On néglige aussi le rôle de la France dans le
Pacifique.Alors pourtant que c'est le plus vaste océan, chose non négligeable à
l'heure de la maritimisation. Et alors que la bascule américaine se fait de
l'Atlantique vers le Pacifique. Réfléchir à la place de la France dans le Pacifique,
c'est l'objet de ce billet, proposé par Helène Goiran, qui
réside en Nouvelle Calédonie. Merci à elle.
Le nouveau contexte stratégique se caractérise notamment par la
maritimisation des enjeux et le déplacement du centre de gravité du monde vers
le Pacifique.
Le récent rapport du Sénat, « Maritimisation : la
France face à la nouvelle géopolitique des océans », rappelle que la
mondialisation a accru l’importance stratégique des enjeux maritimes (routes
maritimes et ressources marines et sous-marines) ; la maritimisation des
enjeux économiques implique un rôle et une concurrence accrus des Etats en mer.
La souveraineté sur les espaces maritimes est donc un élément fondamental de la
puissance d’un Etat. La France
dispose du deuxième espace maritime du monde et peut donc tirer profit de la
maritimisation si elle conserve les moyens de sécuriser ses activités
maritimes.
Le centre de gravité économique et financier du monde est dans le
Pacifique : le G2 sino-américain s’y fait face, Washington y renforce sa
présence et annonce le déploiement prochain de 60% de sa marine de guerre, la Russie y développe sa
flotte et intensifie sa diplomatie…
Dans ce cadre, les terres françaises d’Océanie et leurs ZEE constituent des
atouts stratégiques, diplomatiques, économiques, scientifiques, culturels, etc.
Plus de la moitié de l’espace maritime français est dans le Pacifique, avec
les zones économiques exclusives de la Nouvelle-Calédonie,
de la Polynésie
française, de Wallis et Futuna et de Clipperton. Ces îles confèrent à la France un statut de
puissance du Pacifique, avec les opportunités et les responsabilités qui y sont
associées. Les communautés françaises du Pacifique (résidents d’outre-mer,
expatriés, diplomates) sont autant de relais de l’action et de l’influence de
notre pays à proximité du nouveau centre de gravité du monde.
Dans un environnement où « le renseignement est un enjeu vital, au cœur
de notre stratégie de défense » (comme l’a indiqué le ministre le 15
octobre) la possibilité de disposer de moyens de renseignement technique dans
tous les océans est incontestablement un avantage.
La présence française, longtemps contestée, y est maintenant souhaitée,
comme l’illustre, entre autres, l’intensification de la coopération militaire
avec les puissances régionales et les petits Etats océaniens.
La France a
longtemps été en butte à la contestation, voire l’hostilité des puissances
régionales et des petits Etats océaniens (Essais nucléaires, revendications
indépendantistes…).
Elle est désormais non seulement admise mais appréciée, en particulier dans
le domaine de la défense et de la sécurité.
C’est ce qu’illustre, par exemple, l’ampleur sans précédent de l’édition
2012 de l’exercice interarmées multinational Croix du Sud, organisé par les
forces armées de la
Nouvelle-Calédonie : les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande,
le Canada, la
Grande-Bretagne, la Papouasie-Nouvelle-Guinée,
le Vanuatu et les Tonga y engagent des hommes et des moyens. Le Japon y envoie
des observateurs.
Le Quadrilateral Defence Coordination Group (Australie, France,
Nouvelle-Zélande, USA), qui coordonne l’action de ses membres en faveur des
Etats insulaires du Pacifique, en particulier pour la surveillance de leurs
ZEE, c'est-à-dire la protection de leurs principales ressources. Le « Quad »
symbolise le rapprochement entre Washington, Canberra, Wellington et Paris (via
Nouméa). Le 4 juillet 2011, c’est en Nouvelle-Calédonie que l’USS Blue Ridge,
bâtiment amiral de la 7e Flotte, a célébré la fête nationale des Etats-Unis.
Sur la vision étasunienne de la place et du rôle de la France dans le Pacifique,
on lira avec intérêt l'analyse publiée mi-décembre 2012 par le Center for
Strategic & International Studies : "France,
the Other Pacific Powe.
Les Forces armées de la Nouvelle-Calédonie, positionnées au cœur de la Mélanésie et à proximité
immédiate de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, et celles de la Polynésie française,
constituent des plate formes et des relais essentiels pour la défense et la
sécurité nationale dans une zone dont l’intérêt est désormais avéré.
Les FANC et les FAPF permettent à l’armée française d’être à la fois sur son
territoire et aux antipodes de ses bases métropolitaines. Ainsi proche de ses
alliés australiens, néo-zélandais (partenaires de l’OTAN) et américains, elle y
développe l’interopérabilité indispensable sur tous les théâtres où elle est
engagée avec eux. Les FANC et les FAPF sont des leviers régionaux de la
coopération militaire bilatérale et multilatérale de la France. Elles
contribuent aussi à la protection des ressources et à l’intégration régionale
des collectivités françaises d’Océanie.
Dans le Pacifique comme dans l’Atlantique et l’océan Indien, l’armée
française dispose, avec ses bases de défense ultramarines, de structures
permanentes excentrées : par leur localisation même, les forces de
souveraineté constituent des éléments déterminants d’offensive, de défensive,
de riposte et de résilience, garantes d’une meilleure capacité de réaction et
d’adaptation aux surprises stratégiques.
La France
est, grâce à la
Nouvelle-Calédonie, au troisième rang mondial pour les
réserves de minerai de nickel : il s’agit là d’un approvisionnement
stratégique. Les autres îles françaises du Pacifique pourraient prochainement
en assurer d’autres : les campagnes de recherches de l’IFREMER ont
confirmé l’intérêt des gisements minéraux sous-marins de Wallis et Futuna et de
Clipperton.
Les Etats et territoires océaniens, longtemps pauvres et isolés, deviennent
riches de potentialités (poids diplomatique, intérêt stratégique, ressources
halieutiques, minérales et énergétiques de leurs ZEE). Ils sont des acteurs de
plus en plus importants de la géopolitique mondiale.
Les évolutions géopolitiques actuelles confirment que de petits Etats (comme
le Qatar ou les Emirats arabes unis…) peuvent avoir un rôle dépassant largement
ce que leur poids réel (économique, démographique, militaire) devrait
logiquement leur conférer.
Ainsi les Fidji, poussées par les sanctions imposées par leurs partenaires
traditionnels après le coup d’Etat du Commodore Bainimarama à
rechercher d’autres coopérations, ont développé et réussi une offensive
diplomatique tous azimuts : elles ont été élues par acclamation à la
présidence du « G77 et la
Chine » pour l’année 2013, dialoguent aussi bien avec
Washington et Abou Dhabi aussi bien qu’avec Moscou et Pyongyang, leurs casques
bleus constituent la totalité de la Guard Unit de la mission onusienne en Irak, elles
président et renforcent le Groupe Fer de lance mélanésien, etc.
Chine, Russie Japon et Corée(s), riverains du Pacifique Nord, y développent
leur influence. La France,
qui est géographiquement proche d’eux par ses collectivités d'Océanie, est
appréciée pour ses valeurs, ses compétences et l’assistance qu’elle apporte
(humanitaire, militaire, scientifique…). Elle est un partenaire privilégié.
Les forces armées de la Nouvelle-Calédonie opèrent dans une zone où leurs
capacités sont indispensables non seulement aux Français de Nouvelle-Calédonie
et de Wallis et Futuna mais aussi aux populations des petits Etats amis, très
vulnérables aux catastrophes naturelles : l’édition 2012 du World Risk
Report des Nations Unies, publié il y a quelques jours, place de nouveau le
Vanuatu au premier rang mondial ; quatre autres Etats de la ZRP du ComSup FANC figurent
parmi les quinze pays les plus exposés aux risques. Les moyens français sont
régulièrement sollicités dans le cadre de l’Accord FRANZ
(France/Australie-Nouvelle-Zélande) pour apporter une assistance.
La
Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis et Futuna sont les
seuls PTOM significatifs de l’UE dans le Pacifique: dans un contexte
stratégique mouvant, ils sont une chance pour la France et pour l’Europe
(« smart defence »). Ils leur confèrent des avantages, réalisés et
potentiels, qui sont et seront des éléments déterminants de leur puissance.
Les bases de défense françaises du Pacifique intéressent ou pourraient
intéresser les alliés de la
France (Union Européenne, OTAN, etc.). Plus généralement, la
coopération et la mutualisation des moyens (« smart defence ») sont des
éléments indispensables au maintien des capacités dans un contexte de réduction
des ressources.
Nouméa et Papeete, positionnées au cœur du Pacifique, travaillent aux mêmes
heures que Shanghai, Tokyo et San Francisco et Sydney, pendant que l’Europe
dort. Pour les entreprises françaises, les instituts de recherche, les
organisations gouvernementales, les administrations, c’est une opportunité à
saisir.
En maintenant les capacités de défense et de sécurité dont elle dispose dans
le Pacifique, la France
préserverait ses intérêts, satisferait ses alliés et contribuerait à la
sécurisation du monde.
Hélène Goiran, (docteure en histoire, auditrice de l'IHEDN,
Nouméa)
Sources / EGEA - Etudes géopolitiques , européennes et atlantiques
Naku press : mise en ligne le 25 mai 2013